Écoute Glaxo Babies chanter le triste destin de Christine Keeler, en 1979. 16 ans après l’affaire Profumo, Rob Chapman emporte le morceau pour toujours, avec sa rage curtisienne, sa conviction d’être au bon endroit au bon moment, déconstruisant le mythe punk mort-né de sa belle mort. Un saxophone baryton colore chaque chanson de son cri d’éléphanteau électrocuté, ou en extase, c’est selon. Écoute ce ton adolescent et ces paroles mêlant politique internationale, overdose solitaire, censure farouche (Madame Thatcher s’installe rue Downing cette année-là). Sans oublier : guitares saturées et aigrelettes confites dans leur réverb courte, revanche des petits gars nés trop tard, trop tôt, en pleine mouise sociale en tout cas. Mais à Bristol, et ça c’est vraiment du bol. Voilà, un monde est installé.
Squid commence sa promenade par une relecture hardie des classiques des late seventies made in UK, et le champ vert et lumineux, ben on le cherche un peu. Puis une bascule s’opère avec Boy racers, où le potard de pitch du synthé évidemment vintage est ultra sollicité, pour un étirement de la pâte à guimauve qui n’a rien de gnangnan. Au contraire, elle remplit le cerveau de ses fréquences riches et fruitées, occupant l’espace comme la lave d’un volcan.
À partir de là, le chanteur-batteur Ollie Judge va libérer une voix très plastique, puissante, ample qui donne envie de voir l’animal sur scène. Ne cherchez pas Talking Heads, ne cherchez pas Television, Squid malaxe et cisaille par avance tout le fourbi des citations faciles. Ce chanteur a quelque chose à dire, c’est rare, cela ne souffre pas de débat.
Des musiciens inspirés, libres, osant s’écouter et s’entraider, expérimenter, maîtrisant leurs moyens d’expression, de production, de joie créative. Alors, pourquoi pas des bugles et des trombones, pour la caresse d’harmonies cuivrées et cinématographiques... Et des ruptures soudaines, où les ambiances aquatiques nous arrachent au béton armé coulant de la gueule de cette bétonnière rouillée qu’est le Royaume-Uni post-Brexit.
Squid n’accepte pas de renoncer à l’imagination, au jeu, au plaisir des télescopages imprévus, au risque de se frotter à l’autre. C’est ainsi que ces jeunes gens de Brighton sont politiques. Et un peu plus finement que Boris J.