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On ne choisit pas au hasard de baptiser son groupe d’un prénom féminin parmi les plus érotiques qui soient. Aucune trace néanmoins chez les Bretons de Gwendoline d’un souvenir BDSM lié à l’ouvrage éponyme de John Willie, pas plus qu’à l’actrice Tawny Kitaen – interprète de la pauvre Gwendoline dans l’adaptation cinématographique (nulle) tournée par Just Jaeckin en 1984. Un prénom qui renverrait plutôt ici à diverses amourettes lycéennes, à toute la nostalgie que pourrait figurer ces vertes années où le romantisme était toujours de rigueur et où le monde semblait encore en vie. Un prénom qui contraste furieusement avec le quotidien décrit par les « trentenaires » Mickaël Olivette et Pierre Barrett : des journées à glander et à boire des coups, devant la télé et ses conneries, éventuellement au comptoir du bar, parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. Ah si, une seule chose, pour le fun et le désennui : composer de la cold et s’esclaffer à écrire des paroles slackers aux vertus introspectives. Voilà qui nous rappelle une époque pas si lointaine, entre fous rires, grosses défonces, attitudes maussades ou querelleuses (selon l’humeur), stylo et carnet toujours en poche au cas où une idée de paroles « débiles » nous viendrait à l’esprit (entre le bar-tabac et l’appartement de cette fille qui nous aimait bien mais nous reprochait quand même de croupir au RSA). Une attitude no future, les mains dans les poches, distante car blasée à l’encontre de tous « ces enculés ». Vision Guerilla Poubelle n’étant pas seulement légitime aux prémisses de la trentaine puisqu’elle s’insinue dans les gènes et demeure inaltérable – tant que le corps en supporte les excès.

Gwendoline, via la résurrection qu’offre le label Dead Wax à une collection datant de 2017, plane cependant très au-dessus de la complainte descriptive ou du réalisme élégamment baudelairien. Rien à foutre, comme Mickaël et Pierre le chantent sur l’important “Audi RTT ”, d’écrire des alexandrins ou de fantasmer littéraire. Le langage est ici brut, basique, mais tellement bien vu que Gwendoline, sur les titres “Audi RTT ” et “Chevalier Ricard ”, réussit à transformer en proverbial deux sentiments tellement communs que nous finissions par en oublier la portée stylistique : “La vie c’est dur, putain ” et “Ouais j’en ai rien à foutre ”. (Il faudrait peut-être remonter aux Rita Mitsouko, et au très adopté “Les histoires d’amour finissent mal… en général ”, pour se souvenir de paroles pop adoubées par le domaine public).

Sentiments prochainement proverbiaux donc, rendus retors, toujours contradictoires, par l’alchimie unissant les voix de leurs auteurs, l’une maussade et inquiète, l’autre encline aux tentations punks. Cela créé de magnifiques changements d’atmosphère, presque une bipolarité représentative du mélange euphorie / lassitude inhérent aux journées « alcool + TV merdique + sortir ce soir ? + j’ai plus une thune en poche » qui caractérisent ou caractérisaient « nos vies héroïques ». Gwendoline décrit de la plus juste et touchante des façons ce moment où la branleuse attitude risquerait de se confronter, putain de vie, à l’obligation de dégoter un boulot stable (parmi tous ces cons), et à tenter de ne pas trop se renier, rester soi-même au sein de l’allégeance consentie. Pas simple (“La vie c’est dur, putain ”). Le monde sans pitié d’Eric Rochant.

Mickaël et Pierre en resteraient à cette idée de phrases-slogans, Gwendoline ne serait qu’un excellent groupe à revendications (tendance musicale française incluant, ou refusant d’accepter, les limites d’un discours ouvertement social donc chiant). Sauf que les mecs de Gwendoline sont des orfèvres en pop song, et leur talent à ne pas se prendre la tête conduit Après C’est Gobelet ! à surenchérir là où l’auditeur ne l’attendait pas. Prenons le titre “Chevalier Ricard ” : l’apophtegme “J’en ai rien à foutre ”, une fois l’idée admise, devrait finir par lasser à force de mantra, mais c’est précisément à cet instant que Gwendoline dégaine un refrain hyper novö digne du meilleur Taxi Girl (tendance Seppuku) : “Elle a pas de nom / Elle m’appelle au comptoir / Chevalier du soir / Chevalier Ricard / J’ai pas l’ambition / D’lui raconter d’histoires / Chevalier du soir / Adoubé au Ricard ”. Un certain songe qui devrait parler à “La Femme écarlate ” de Daniel Darc

Car ne pas trop cantonner Gwendoline à un registre dark ou cold wave : on y entend beaucoup moins les flagellations ambient d’un Ian Curtis ou la poésie adolescente de Robert Smith que les mélodies jangle pop et l’humour salvateur d’Echo and the Bunnymen ou du Lawrence de Denim. Gwendoline est un groupe pop. Actuellement le plus représentatif de ce que nous fûmes et resterons peut-être toujours un peu… C’est un bon groupe, putain !




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