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Le dessin illustrant la pochette de « Carbon Glacier » m’aura toujours intrigué : dans l’obscurité, une barque flotte sur des eaux glacées (la banquise est proche) et, dans la barque, il y a un homme agrippé à ce qui semble être un mat dénudé et, en haut du mat, une lampe éclaire faiblement la nuit et la posture du corps de l’homme laisse deviner qu’il est à bout de forces (est-il résigné ou pas ?) et l’homme n’est peut-être pas agrippé au mat, au contraire, il le tient, c’est lui, le mat, et il n’en peut plus mais c’est sa seule chance d’être aperçu et sauvé et en haut à gauche on aperçoit trois petites étoiles dont la représentation naïve tranche avec la situation à priori désespérée du personnage dans la barque et…

Oui, je m’en suis posé, des questions, en regardant ce visuel réalisé par le dessinateur Jason Lutes (auteur de la trilogie « Berlin », dont le troisième tome a été sélectionné en 2020 pour le festival d’Angoulême) qui, sur les conseils de son amie Laura Veirs, s’est inspiré des œuvres de Rockwell Kent, artiste tout-terrain (peintre, poète, graveur, marin, charpentier, syndicaliste, etc.) décédé en 1971 et dont un des croquis – de plume et d’encre – figurant « Moby Dick » apparaît sur un timbre-poste américain.

Rockwell Kent était naturaliste, il aimait les grands espaces et les peuples qui les occupent (« Nous qui nous efforçons de créer un monde meilleur pour les hommes devons connaître l’argile à partir de laquelle nous formons l’homme ») et, à ce titre, au vu du cursus universitaire de Laura Veirs – à la fin des années 90, elle a accompagné, en tant que traductrice, une expédition géologique en Chine – , il y a pour moi comme un fil ténu qui relie entre eux les univers du routard new-yorkais et la native de Colorado Springs.

« Found Light », le titre du nouvel album de Laura Veirs, m’a ramené vers « Carbon Glacier » et, même si je sais que référence est faite à un poème de Langston Hughes évoquant la militante politique Helen Keller, qui était sourde, aveugle et muette (Joseph Lambert a publié une bande dessinée plutôt pas mal sur le sujet : « Annie Sullivan & Helen Keller »), je ne peux m’empêcher de me remémorer la petite lampe peinant à transpercer l’obscurité et, au pied du mat, ce corps à bout de forces et son désespoir que l’on a du mal à évaluer.

Entre les deux albums, presque vingt ans se sont écoulés, qui incluent le début d’une collaboration et d’un mariage – en guise de voyage de noces, Tucker Martine produit en 2004 « Carbon Glacier », puis les disques suivants de celle qui sera devenue son épouse – et la fin d’une collaboration et d’un mariage – suite au divorce, c’est Shahzad Ismaily qui assistera Laura Veirs pour l’enregistrement de son douzième album : on imagine à quel point « Found Light » revêt une dimension émancipatrice, en tous cas artistique. Concernant la partie affective, à chaque couple son histoire (merdique), sachant que le révisionnisme sentimental, bien que courant – le ressentiment est le premier pas vers la liberté –, me paraît toujours bancal et j’ose espérer que Laura Veirs n’est pas tombée dans le piège d’une analogie grossière entre sa situation au sein de son couple (qu’elle a choisi) et le handicap d’Helen Keller (qui n’a rien choisi).

« Found Light » commence par un duo avec Kate Stables (This Is The Kit), qui rappelle le super-groupe temporaire formé en 2016 par k.d. lang, Laura Veirs et Neko Case. A la suite d’une « Autumn Song » inaugurale, les chansons de ce nouvel album de folk rock progressif, aux arrangements précis et épurés, tout en restant du Laura Veirs pur jus, dévoilent quelques surprises (le saxophone de « Naked Hymn », le minimalisme électronique d’« Eucalyptus », les arrangements ventés de « Komorebi »), dans un ensemble cohérent et apaisé, même si le titre final (« Winter Windows ») se fait revêche et revanchard, il s’agit de liquider le ressentiment : « I pawned my wedding ring at the Silver Lining / I felt sad ; I also felt a weight go flying ». Booster la confiance, nourrir l’égo, faire de la solitude une force, ça passe par la prise en main de la production des quatorze morceaux de « Found Light », mais aussi par le choix d’enregistrer conjointement, pour la première fois, la guitare et la voix, pour un résultat qui renforce certainement la sensation d’intimité qui se dégage d’un album consistant, qui ne déparera pas dans la riche discographie de la talentueuse Laura Veirs. On ne sait pas si la lumière trouvée avait été préalablement perdue, mais en tous cas, elle brille et nous éclaire de sa singulière beauté.




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