Singulier parcours que celui du chanteur et violoncelliste Charles Arthur Russell Jr., affilié à la scène expérimentale new-yorkaise des 70s, collaborateur de Philip Glass, David Byrne ou Allen Ginsberg, emporté bien trop tôt, en 1992, à l’âge de quarante ans, des suites du SIDA, laissant derrière lui des milliers d’heures de musique inachevée, et dont l’œuvre confidentielle, portée par les sorties posthumes, continue d’irriguer l’imaginaire underground. Picture of a Bunny Rabbit – dont le titre éponyme fut écrit en l’honneur du lapin d’un ami d’Arthur, et qui est par ailleurs le plus âpre de ce disque –, regroupe neuf morceaux inédits, composés entre 1985 et 1986, peu avant la parution de l’album World of Echo, qui reçut un accueil très favorable, notamment en Angleterre. Chez Arthur Russel, si avant-garde il y a, ce n’est jamais au détriment d’une certaine accessibilité : la voix ample et délicate, parée d’une magnifique réverbération, qui nimbe également le violoncelle et les motifs de guitare, est un bien altruiste guide lorsqu’il s’agit de parcourir des structures et textures parfois alambiquées, mais jamais prise de tête, tant notre homme sait rester simple. A mon sens, il y a du Young Marble Giants dans l’air (la gestion du silence, le pointillisme, la répétition). Dans un état de flottement apaisé, on se laisse prendre par la main et par les oreilles et par le cœur et happer par la belle mélancolie de l’ensemble. Il y a une quinzaine d’années, j’avais été saisi par l’œuvre du natif de Oskaloosa (Iowa) et c’est avec grand plaisir que je retrouve une voix amie et ce fameux violoncelle reconnaissable entre tous, qui avec brio s’ébrouent sur le conclusif et bien nommé In The Light Of A Miracle. Des décennies après son décès, le lumineux Arthur Russell continue de nous émerveiller, réveillez le Pape, nous assistons à un miracle de longue durée.