Jack White III est le Valery Larbaud du rock’n roll. Soit un musicien brillant, brillant au point de nous donner l’impression que sous ses doigts et son chant tout est facile, fluide, instinctif, mais également un passeur – un musicien pour musiciens : ceux qu’il vénère, le champ est vaste – garage, blues, country, folk, psychédélisme, power pop, heavy metal ; ceux qui les yeux fermés le suivent, l’accompagnant sur ses disques solo ou au sein de The Raconteurs et The Dead Weather, ceux qu’il produit (Loretta Lynn, The Greenhornes, The Von Bondies), ceux qu’il héberge sur son label Third Man Records, fondé au début du 21ème siècle. Depuis ses débuts avec les White Stripes en 1997, sorti indemne des pièges du one hit wonder (Seven Nation Army, 2003) et du gossip (relation médiatisée avec l’actrice Renée Zellweger, la seule faute de goût de sa carrière), le prolifique Jack White a dédié son humble existence à promouvoir la musique du diable, au point d’en devenir l’un de ses meilleurs ambassadeurs. Cet été, les clients des boutiques Third Man Records se virent offrir un vinyle mystère à la pochette bleue sombre, qui s’ouvre sur un couplet malicieux (« nothing in the world is free ») et s’avéra être le nouvel et sixième album solo du natif de Détroit, publié par la suite de manière plus conventionnelle et doté d’un titre : No Name. Un adieu ? Non, sauf à considérer qu’avec ce brûlot compact et d’une souplesse hallucinante Jack renoue avec l’énergie fureteuse et fourre-tout qui caractérisait les White Stripes, même si ici et là on entend du Led Zeppelin et tout un tas de sonorités 70s particulièrement cool. On perçoit dans ce disque inattendu une assurance, une force, une virtuosité remarquables, mises au service de compositions jubilatoires, qui foncent tête baissée dans le groove et le mur du son – si l’on est sensible à ce genre de registre, bain de jouvence garanti, No Name étant sans aucun doute l’épiphanie rock’n roll d’un Jack White en forme olympique.