S’il était nécessaire de faire au plus vite, pris qu’on serait par l’urgence d’une actualité brûlante, on se contenterait bien, en guise de billet sur le deuxième Lp de Michael Wookey, de renvoyer lecteurs et lectrices à quelques bouquins traitant de la musique pop sous ses formes les plus ouvragées. et particulièrement aux pages consacrés aux cerveaux intranquilles qui s’escrimèrent à la monter en épingle.
Pour faire bonne mesure, on citerait quelques noms d’instrumens chelous, on dresserait une liste érudite de personnages rares et immanquables - James Mercer et ses Shines, Peter Milton et ses Apartments, Stephin Merritt & ses Magnetic Fields...
Et on synthétiserait tout ça, un brin faux derche, en vantant l’incomensurable beauté de ce Hollywood Hex, sa faculté étonnante à sublimer le pataquès de références sus-tartinées. Un petit nombres d’avertis ne se bousculerait qu’à peine pour choper la galette, et le reste des autres s’en foutrait royalement, plongeant ce disque dans les affres d’une indifférence sèche et crasse où git déjà son excellent prédecesseur, Submarine Dreams.
Après tout ça, on pourrait tranquilou se tirer sur la nouille, convaincu d’avoir senti le chef-d’oeuvre envers et contre tous, naïvement satisfait du devoir un brin baclé mais accompli.
Néanmoins, vu qu’en fait la pression de l’actualité ne nous fait ni chaud ni froid, qu’en fin de compte on a grave le temps - travailler moins pour chroniquer plus, notre credo ! - on va tout reprendre à zéro.
Parce que Michael Wookey et sa clique (toute l’équipe du label We Are Unique records, Margaret Leng Tan la reine du Toy Piano et proche de John Cage, les Hiddentracks sans leur Angil, The Section Quartet aux cordes croisées chez Danny Elfman, Kanye West, Devendrah Banhart) valent mieux que ça, mieux que cete copie bêtement torchée, mieux que ce name-dropping aveugle auquel leur musique précieuse prête si soyeusement les hanches. Parce que Wookey, a contrario, est de ces musiciens rares qui n’ont pas abdiqué la part onirique et ludique de leur pratique artistique, poussant cette logique fantasmatique dans des coinstots improbables. D’où cet album, une pièce montée concise - loin des patisseries hideuses qui jonchent sa jaquette - et onze titres en un peu plus d’une demi heure. Pour autant rien n’est fait par dessus la jambe : plus de cinq ans de boulot tout de même. Chaque minute qui s’écoule porte son lot d’incroyables mélodies ciselées de mille petits bouts, agencées autour de mots acidulés, ironiques, doux-amer que rien ne semblent pouvoir perturber. C’est plutôt nous, auditeurs captifs, qui finissont par être désarçonnés par une telle débauche de bon goût, un tel étalage de talent.
Il faut écouter toutes ses musiciennes et musiciens s’en donner à coeur joie, partant de rien - quelques tintinnabulations, quelques craquements, quelques insultes aussi - à la conquête de l’espace, submergeant leur chanteur, lui tissant un tapis volant aux motifs modernes et inédits, une carpette inspirée sur laquelle la gravité n’a jamais pu frapper.
Il faut croquer dans ce Hollywood Hex de bout en bout. Mille-feuilles sonores qui du papier d’Arménie ont la fragrance subtile et la légèreté, ces chansons s’embrasent et se consument, se consomment sans la moindre modération. Un vrai délice !