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Voici un album de parti pris. Boîte à rythme squelettique car seventies. Basse ronde, guitare pauvre et / ou hurlante. Voix du nez dans la slap reverb Instant Karma. Amour des timbales numériques et accordées. Et voilà, c’est à peu près tout. Certains sont allés très loin avec moins que cela.

Quand j’achète un Saint-Pierre à Sylvie et Rozenn, aux Halles de Merville, elles retirent l’immangeable et me laissent le meilleur du poisson. J’aime garder la peau, qui porte l’empreinte du pouce de l’apôtre de Jésus. Chaque athée a son petit écart de conduite, son paradoxe léger... J’ai posé le mien dans ce poisson à grosse tête. Sa chair est ferme, parfumée. Et quand on vit près de la mer, il est donné le Saint-Pierre, le luxe à portée de tous les porte-monnaie, même les plus maigres. En moins de cinq minutes les deux sœurs au grand cœur magnifient la bête. L’auteur de ces chansons n’a mis que quatre jours pour emballer ce Beau nuage.

Don Nino ne pilote aucun cartel colombien, aucune famille sicilienne, aucune fabrique de sangria industrielle à Alicante. Il crèche à Pantin et la Sécurité Sociale le connaît sous le nom de Nicolas Laureau, from Montpellier, California. Ou Hérault. Chais plus. Il a fondé avec son frère Fabrice Prohibited records en 1995 (Purr, Herman Dune, Mendelson...). Tout le monde est au courant, peut-être, mais je me dis que parmi les cinq lecteurs de cette chronique, un ou deux sont eux aussi des oisillons tombés du nid, souriant aux anges qui plus est.

L’intention de ces chansons est lancinante. Le cœur est écorché, contenu, étouffé. Confiné. Quelque chose de nos chers bricolages quatre pistes. Ces tressages magnétiques que 167895 jeunes gens nés entre 1970 et 1975 ont enregistré au kilomètre en France, dès l’arrivée des miraculeux Tascam PortaStudio 424 dans les magasins de musique du centre ville (2500 F TTC). Et c’est peut-être l’errance d’un jeune musicien passionné, de la fac à l’appart, du night shop au concert dans la cave attendu depuis deux mois, de l’ami à l’amie, que Don Nino traduit dans ces chansons désossées. C’était l’époque aussi où contempler restait possible, sur de longs temps, à tout moment du jour et de la nuit.

La voix de Nicolas Laureau trébuche, s’essaie à des cabrioles, des flows un peu cheeseburger, des doublements quasi Stevie R. Moore. Au début, ça passe pas trop, et puis la sincérité emporte l’affaire. Les chansons se laissent apprivoiser, l’espace entre les instruments donne envie de respirer, d’ouvrir la fenêtre pour être au diapason. Ou pour trouver un peu plus d’air encore.

Il y a du Royaume-Uni dans ce son-là. Un peu de New Rose, un peu de Chemikal Underground, de Domino records, de... OK j’arrête. Bien sûr, depuis, il y eut Pharell et PNL, Odezenne et Clara Luciani. Bref, l’histoire de la musique en mouvement. Mais il n’est pas interdit de réécouter The Ah Club en 2021, que je sache !

Il y a dans ce très beau nuage un peu de pluie, mais surtout beaucoup de lumières.