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Voyager, c’est avant tout se traverser soi-même. Nulle aventure sans transcendance : se rendre d’un sommet à l’autre ne nourrira personne, hormis les inattentifs qui font de la destination un objectif, aussi réjouissant soit-il : paradis perdus ou retrouvés, paradis sans paradigmes, effacement de soi quand lentement l’aube avance ses pions sur l’échiquier nocturne. C’est ainsi que, peu soucieuse cartographe, généreuse et envoûtée, le cœur en bandoulière, pas (précieux) à pas (précis), Marie Pierre chemine, enfilant son âme de musicienne aguerrie dans l’exigeant chas d’une aiguille faite de scintillements, nourrissant sa discographie minéralogique – de sa collaboration avec De La Jolie Musique à ses protéiformes productions sous l’alias Eskimo (« Dancing Shadows » et « Que faire de son cœur ? » nous démontrent à quel point le registre est mineur quand l’artiste est majeur) – de son chant légèrement fêlé, voilé, piquant, sans âge mais porteur d’une espièglerie enfantine qui part du ventre, comme un sourire irrépressible en temps de guerre (contre soi-même).

Avec « Beyond The Apex », publié par le label messin WafWaf Enregistrements, sur lequel on retrouve Cimetière de l’Est et l’inestimable Delphine Dora, Marie Pierre nous rappelle pourquoi Ulysse s’est attaché au mat de son navire en perdition : il voulait vivre, il voulait couler, il voulait voir, il voulait raconter.

Dans ce nouvel opus, Marie Pierre continue de s’éloigner des formats traditionnels - point de batteries ni de guitares saturées, dont pourtant elle joue si bien – mais l’esprit totémique du pas-de-côté (l’essence même du rock, qui n’est ni bousculade ni posture plastique) se matérialise au travers d’une production au bord de la rupture, chaque piste sonore semblant poussée à son paroxysme : il faudra écouter – attentivement – au casque les sept titres de « Beyond The Apex » pour ressentir le vertige que l’on a à se tenir au bord du précipice.

Oui, en apparence, tout est calme. L’atmosphère à priori apaisée, à base de percussions chamaniques et de field recording, de volutes de voix éthérées et d’arpèges de guitare, d’electronica et d’harmonium indien joué avec grâce et simplicité, offrira à l’auditeur un havre de paix temporaire, bien trop temporaire. Car derrière cette brume grise belle à tomber – mélodies addictives et motifs lumineux, magnifiés dans un « Respire Le Reflet de La Lune » que ne renierait pas The Knife – se cachent des fantômes aux sourires incertains. Cette force, ce pouvoir, cette incandescence, certes travestie de douceur, c’est le viatique d’une artiste passionnante qui, même en prenant le contre-pied de son propre cheminement, le rend encore plus lisible : on la suivra aveuglément.




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