Issu d’un milieu très modeste, au sein duquel l’éducation était considérée comme un luxe inutile, le jeune Alden Nowlan, par ailleurs employé dans la scierie locale, à Stanley en Nouvelle-Écosse, se rendait en cachette à la bibliothèque de Windsor pour s’adonner à sa passion naissante, la littérature : "I wrote (as I read) in secret. My father would as soon have seen me wear lipstick.".
Notre Canadien partait de loin, ce qui ne l’a pas empêché de faire florès et de nous livrer une œuvre riche, qui - à travers poèmes, romans et pièces de théâtre - mettait en scène les attendrissants paradoxes humains et les solitaires paysages arpentés, à la manière d’un naturaliste sans entraves, jusqu’à ce qu’en 1983 un emphysème pulmonaire l’emporte.
Alden Nowlan repose au cimetière de Forest Hill, à Fredericton, dans le « Berceau des poètes », aux-côtés de Bliss Carman, Francis Joseph Sherman et Sir Charles Roberts. L’on imagine très bien les conversations qu’ils pourraient tenir ou le vent traverser les arbres en fin d’après-midi et murmurer de feuilles en feuilles ces quelques vers à la simplicité désarmante :
« It’s what we all want, in the end,
Not to be worshipped, not to be admired,
Not to be famous, not to be feared,
Not even to be loved, but simply held. »
Lui-même né dans le compté de Hants, le compositeur Pete Johnston – dont The Songs Which Are est le second album publié sous l’alter ego Stranger Still (en référence à la chanson de Peter Hammill – cofondateur de Van der Graaf Generator ?) – explore ses racines rurales à travers l’œuvre d’Alden Nowlan, qu’il met en musique avec ses amis chanteurs Mim Adams et Randi Helmers, accompagnés à la contrebasse par Rob Clutton et à l’orgue par Andrew Killawee.
S’ensuivent onze titres au charme suranné, combinant minimalisme, musique folklorique canadienne, contrepoint médiéval et rock progressif, édités par All-Set !, label de Toronto au copieux catalogue expérimental (The Mike Smith Company, Aurochs, Ali Berkok).
La production aérée de The Songs Which Are laisse le champ libre aux vocalises claires et précises, à la tierce ou en canon, de ses interprètes, sur lit de guitares acoustiques arpégées et de motifs baroques, en témoigne la munificence bourdonnante et apaisée d’un I, Icarius qui jamais ne se brûle les ailes, comme si Stereolab avait décidé d’enregistrer dans son grenier, à lumière d’une chandelle. Sur le si beau, si pur et si lent A Dog Barking At Night, on croirait entendre Mimi Parker, autant dire que même si l’on en a le souffle coupé, ça fait dresser les poils. Il faudra bien le banjo echevelé de Sparrow Come In My Door pour nous sortir de notre torpeur mélancolique.
L’exigence du nouvel album de Stranger Still, aux atmosphères contrastées malgré sa pertinente homogénéité, réside avant tout dans la qualité de sa confection, quand en elles-mêmes les chansons, puisant dans les registres passés, restent très accessibles tant elles savent doser leurs effets : l’on en ressort purifié, comme après une longue et méditative promenade dans la nature, et pour le Parisien que je suis, en ce dimanche un peu gris, c’est inestimable.