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Le film est sorti en salle en mai dernier et le DVD va suivre. Pétillant, savoureusement drôle, kitsch et émouvant, il propose une flopée d’acteurs qui campent l’humour et l’excentricité anglaise. C’est une ode aux radios pirates apparues dans les années 60 qui ont perverti les âmes britanniques les plus pures en diffusant du rock’n roll. Le réalisateur, Richard Curtis, habitué aux succès, fait des comédies qui plaisent à tout public, 4 Mariages et 1 Enterrement, Coup de foudre à Notting Hill, Bridget Jones, Love Actually etc. Personnalité hors du commun, cet homme marié à la petite fille de Sigmund Freud est depuis les bancs de la Faculté d’Oxford le meilleur ami de Rowan Atkinson avec qui il a crée le personnage Mr Bean. Good Morning England (titre original : The Boat that rocked) est touchant pour les amateurs de musique et un réel divertissement pour ceux qui ne le sont pas. Il reflète cette période d’après guerre quand la jeune population dite du baby boom se tournait vers les loisirs. Les sons de la pop et du rock grouillaient. Il est légitime que Richard Curtis, anglais, maîtrisant les comédies populaires, témoin de cette époque mythique où le rock’n roll entrait dans tous les foyers, nous offre ce très bon film. La distribution est aussi colorée que le scénario. On retrouve Nick Frost, Emma Thompson, Philip Seymour Hoffman, Bill Nighty, Rhys Ifan et l’excellent Kenneth Branagh.

L’histoire se déroule sur un bateau nommé Radio Rock, ancré au large des côtes anglaises. A bord, le capitaine, Quentin plus dandy que pêcheur de thons et sa clique de joyeux lurons, les extravagants DJ qui ont tous un point en commun : la passion pour la musique. En toile de fond, il y a des histoires d’amour et celle de Carl, étudiant exclu de son école, filleul de Quentin qui est envoyé par sa mère sur la bateau où se trouve son père, encore inconnu. Le film dévoile surtout la cohabitation exubérante et drôlissime d’un équipage parfois prude et naïf, parfois tenté par le sexe, la drogue, l’alcool. Un vent de liberté souffle sur Radio Rock qui diffuse ses programmes pour toute l’Angleterre. Le gouvernement britannique, témoin du succès fulgurant de la radio est passablement hérissé et cherche par tous les moyens à réduire la radio en pièces. Le ministre Dormandy, conservateur impitoyable, incarné par Kenneth Branagh, ne supporte pas l’influence qu’à la radio pirate sur des millions d’auditeurs absorbés jours et nuits par la musique qui leur arrive de ce bateau. Il fait voter une loi qui signera la fin de cette aventure.

En opposition à l’image du conservatisme personnalisé par le guindé et rigide Dormandy, des mises en scène empesées des conseils de ministres, les chansons pop de la bande originale défilent, succulentes, rebondissantes. Les tubes des années 60 foisonnent à gogo. Les images nous montrent une Angleterre qui danse sans complexe. La passion de ces mordus de la radio crève l’écran sur des titres des Rolling Stones, des Who, des Kinks, des Turtles. La bande originale compte plus de 30 titres. J’ai lu dans une critique du film récemment qu’il manquait une dimension humaine, que l’histoire de Carl n’est pas assez étudiée en détails et que la musique omniprésente déshumanisait le film. Non. Cette critique est mal sentie. D’une part, la musique véhicule plus que jamais du sentiment et vous l’aurez compris, c’est une comédie et non pas un psycho-drame. Chaque titre, peu hasardeux, est choisi en rapport avec le scénario et accompagne fidèlement le déroulement de l’histoire. Quant à la quête du père inconnu que mène Carl, elle est secondaire car le jeune Carl a surtout flashé sur la jolie Marianne qui est davantage son graal. D’ailleurs, en 1967, on avait plus coutume à se lancer à la recherche de LSD que de se prêter à la recherche d’ADN.

Les images comme les sons fulminent hauts en couleur et voltigent dans un humour anglais bien décalé. Good Morning England parle de Rock’n Roll dans le fond comme dans la forme. La pop et le rock règnent sur ce drôle de navire. L’ambiance bat son plein, le rythme endiablé est donné par les personnages, le Comte, Quentin, Gavin, Dave, Simon, Angus, le beau et sexy Mark, Félicité la cuisinière « hors-paires », Kevin, l’homme-lapin, John qui assure les news et la météo et Bob le mystérieux du matin qui plonge à un moment fatidique dans le film pour sauver ses disques de la noyade et parvient à secourir son 33 tours de Incredible String Band.

De quoi, de qui nous parle Richard Curtis dans Good Morning England ? Un beau jour de l’année 1964, naquit une radio pirate qui fît grand bruit. Elle rafla toutes les clameurs en diffusant du rock et de la pop illégalement sous le nez rageur des autorités britanniques, jusqu’au jour du 14 août 1967, à 3 heures de l’après-midi, sur les dernières notes de A day in the life des Beatles. Ce jour là, ce fut le dernier souffle de Radio Caroline.

Le morse n’est plus… Vive la radio ! Dans les années 1920 le gouvernement britannique voit dans la radio un moyen de communication puissant et crée la BBC en 1927. La BBC a évidemment le monopole, la population n’a donc guère le choix et doit payer une redevance à l’état. Dans un souci d’expansion, les anglais créent en 1930 l’IBC (branche internationale de la BBC). D’autres petites antennes apparaissent : Radio Normandie, Radio Lyon, et celle qui détrônera la BBC parce qu’elle diffuse de la musique populaire et des émissions plus attractives, Radio Luxembourg. Rageant contre ce succès, les autorités britanniques bloqueront le signal de Radio Luxembourg jusqu’à la nuit tombée, heure à laquelle les anglais peuvent enfin la capter et swinguer dans leur living-room.

C’est au beau milieu de cette querelle qu’arrive à Londres au début des années 60 pour suivre des études de cinéma, un jeune irlandais, aristocrate, doté d’une personnalité incroyable et d’un charisme infini. Il s’appelle Ronan O’Rahilly. Il a en tête de devenir réalisateur (tout comme Richard Curtis à la même époque). Chez lui il écoute du rythme n blues, Ray Charles. Il est particulièrement fan de Georgie Fame. Très vite les idées de manager des groupes le concernent et pour les aider, il crée son propre label. Un jour, Ronan O’Rahilly arrive à la BBC pour proposer ses groupes. On lui rit au nez répondant que seuls les grands labels avaient leur entrées sur la BBC ; idem pour Radio Luxembourg qui reconduit le jeune irlandais à la porte. Les deux radios qui ont le monopole ont un complexe de supériorité qui révolte O’Rahilly. Sa réaction ne se fait pas attendre et il leur répondra « si en plus d’aider les groupes à enregistrer leurs disques, les manager en créant mon label et qu’aucune radio ne veut jouer leur musique, alors il ne me reste plus qu’une chose à faire. Je vais créer ma propre radio ! »

Ce bel esprit animé, déterminé et pas vraiment assisté entend parler au cours d’un dîner d’une radio américaine qui diffuse ses programmes en France via un navire de US Army accosté sur les côtes françaises. L’idée germe… Et voilà notre irlandais démarchant des financiers pour acquérir un ou deux bateaux de pêche qui ne servent plus et se renseignant sur les limitations des eaux internationales pour pouvoir être autonome des lois anglaises. Il s’associe à un australien, Alan Crawford. O’Rahilly achète le Fredericia ferry et Crawford le navire Mi Amigo. Ils dénichent des antennes, des générateurs 10kw installés dans les cales et des émetteurs moyennes ondes. Le Fredericia jette l’ancre dans la Mer du nord, ses ondes couvrent l’Irlande et le nord de l’Angleterre. Le Mi Amigo jette l’ancre au large de l’Essex et diffuse sur tout l’Est de l’Angletterre jusqu’à Londres ; il nomme sa radio Atlanta. Quant à Ronan O’Rahilly, fasciné par une photo de famille des ses compatriotes prise dans le bureau de la maison blanche, sa radio prendra le nom de la fille du président Kennedy, Caroline.

Le dimanche de Pâques 1964, les deux voix de Chris Moore et Simon Dee, les deux dj chargés de lancer la radio, se font entendre et annoncent la naissance de Radio Caroline en lançant le titre des Rolling Stones Not fade away et en le dédiant à Ronan O’Rahilly.

En quelques jours, le projet fou du noble O’Rahilly fait voler en éclat le monopole de la BBC et de Radio Luxembourg. A l’automne 1964, la radio pirate a plus d’auditeurs que la BBC et ses stations satellites. Le public adhère et devient accroc. On dénombre 10 millions d’auditeurs. Les groupes affluent et se bousculent sur les embarcadères pour aller sur la radio. Le succès est grandiose. A compter de 1965, le gouvernement britannique fera tout en son pouvoir pour stopper la progression de Caroline. Il noircira sa réputation, fera de propagande anti-Caroline, bataillant ferme contre la radio, allant même jusqu’à menacer les membres de l’équipage de prison. O’Rahilly fait fi de ces considérations et la suite de l’histoire est digne d’un roman de cape et d’épée, rocambolesque à souhait ! Un réel jeu de poursuites dans les eaux internationales, les pirates des ondes ne baisseront jamais le pavillon et nargueront les autorités en diffusant des titres comme Catch us if you can , qui deviendra leur hymne. Parmi les dj passionnés qui ont vécu cette épopée, il y avait, entre autres, Johnnie Walker, Robbie Dale (appelé l‘Amirale), Bob Stewart,Carl Mitchell, Don Allen, Mike Ahern, Kenny Everett, Dave Cash, Tony Prince et l’illustre John Peel. Deux américains ont rejoint le navire Caroline (idem dans le scénario du film), Tom Lodge et l’empereur Rosko.

En 1967, c’est l’apogée de Caroline. 20 millions d’auditeurs sont devant leurs postes de radio. Mais c’est aussi l’année où les autorités anglaises sont le plus acharnées, comme c’est montré dans le film.

La journée du 14 Août 1967 sera une date triste pour les radios pirates anglaises. Le gouvernement réussit et somme les navires de cesser d’émettre sous peine de poursuites graves. Les radios s’exécutent, même Radio Caroline qui annonce l’arrêt définitif de la transmission à 15h. A terre, c’est l’horreur. Les fans défilent en larmes dans les rues de Londres et manifestent contre cette loi. Comme prévu, à 15h, le silence suivra le dernier morceau joué, A day in the life des Beatles.

Mais c’était sans compter sur Ronan O’Rahilly… indéboulonnable ! Il convoque son équipe, décide de lever l’ancre pendant la nuit et ensemble, ils mettent le cap sur les côtes hollandaises. Cette rébellion sera symboliquement reprise dans Good Morning england. O’Rahilly déclarera alors à l’antenne que « Caroline appartient aux auditeurs et ne cessera jamais de faire voguer les ondes avec sa programmation diaboliquement pop et rock, toute la journée et toutes les nuits. »

Caroline mérite vraiment son nom de radio pirate. Le bateau a fini par rentrer au port plusieurs années après mais Radio Caroline existe toujours. Le Mi Amigo a eu d’autres déboires et a fini par sombrer. Le film est fidèle aux évènements qui ont nourri la naissance et l’essor de Radio Caroline. C’est une réussite absolue, un bijou musical passionnant et évidemment conseillé.

http://www.youtube.com/watch?v=C4Gg...

http://www.youtube.com/watch?v=LoPa...



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