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Il y a des nouvelles si déprimantes que l’on peine à croire en leur véracité. Et pourtant : quelques heures après Tina Turner et Kenneth Anger, et quelques jours après Andy Rourke, Jean-Louis Murat est mort. Stupeur. La tristesse dans laquelle plonge l’information empêcherait même d’établir des correspondances improbables entre Murat et ses trois compagnons de décès : la soul et le funk (Tina Turner) que Jean-Louis Bergheaud vénérait ; le choix réfléchi d’emprunter les chemins de traverse, comme Anger, méfiant envers le business du spectacle ; un retour constant à la pop, au grand public, qu’effectuait l’auteur du Lien défait au gré de ses envies…

Il serait présomptueux de vouloir résumer un parcours aussi casse-cou, aussi aventureux – d’autant plus que chacun détient son propre Murat. Disons simplement qu’en trois décennies et une bonne trentaine d’albums (studio, live, en image, on a cessé de compter), il n’y eut presque rien à jeter du parcours. Non pas que Murat cherchait à brouiller son ou ses identités, au contraire labourait-il un terroir unique (le sien : fertile, boueux, animal, sexuel), mais l’inspiration, sa muse poétique, jamais ne l’abandonna. Ce qui explique pourquoi, depuis 1989 et l’album Cheyenne Autumn, nous restâmes fidèles à Murat, achetant toute (j’ai bien dit toute !) son œuvre. Il semblait même acquis que nous allions vieillir et mourir en compagnie du « Murat annuel » – comme John Peel ne pouvait concevoir une année sans un album de The Fall. Mais non, donc.

A titre personnel, j’eus la possibilité d’interviewer Murat, en 2020, pour la sortie de Baby Love, une semaine avant le premier confinement. Aucune surprise à l’arrivée. Durant les promos télé et face à des présentateurs trop heureux de lui soutirer quelques vacheries sur la chanson française, Murat jouait volontairement le rôle du provocateur bougon. Mais il suffisait de lui parler musique, du rapport à l’autre, de paternité, pour que l’artiste se laisse aller aux confidences, rallongeant l’interview d’une bonne trentaine de minutes afin de nous raconter diverses anecdotes personnelles sur le producteur Julian Mendelsohn et les Pet Shop Boys. Un môme éternel.

Murat et ses vertus d’Arlequin viennent ainsi de rejoindre l’au-delà. Fermeture pour deuil.



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