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Ce soir, dans le petit club de la rue Oberkampf, se déroule la release party de Blind Pilots On A Neverending Race, le nouvel album des Spreaders, from Tréguennec, Finistère sud. Pas écouté le disque : rien sur Bandcamp, flemme de me taper des publicités intempestives (Deezer et autres Spotify), je passe mon tour. Le Nouveau Casino, ça fait tellement longtemps que je n’y avais pas mis les pieds que je pensais que c’était fermé, mais non, il paraît que c’est un haut lieu des soirées techno parisiennes (ce que j’ai du mal à croire en observant la programmation, mais peut-être suis-je trop vieux, ou trop out). La salle se remplit tranquillement, je sirote de la bière coupée à la flotte, le service au bar est d’une mollesse qui serait amusante si les boissons étaient gratuites, une queue interminable se forme devant les WC (deux toilettes pour une jauge de 380 personnes, well done), partout où je me pose je gêne quelqu’un (où que l’on soit, on est dans le passage, toujours entre deux quelque part), le fumoir est trop petit pour que je prenne le risque de m’y rendre, la musique de fond est archi-pourrave, soupirs, je me souviens désormais pourquoi j’avais cessé de fréquenter le Nouveau Casino : c’est nul.

Et donc, question pertinente du lecteur de Crépy-en-Valois : pourquoi me rendre à la release party d’un groupe que je ne connais pas, qui plus est dans une salle que je déteste ?

Flashback. Septembre 2024, les Bandeliers publient leur second EP, au titre involontairement prémonitoire (Misunderstandings). En cinq compositions ambitieuses et bien troussées, Declan et ses comparses – Jeffrey (batterie), Malcolm (guitare), Fanny (basse) – ravivaient tout un pan du rock britannique, eighties et britpop : les Smiths (Maya, jangly pop vs post-punk), Ian McCulloch période Electrafixion (Pole Position, saupoudrée de shoegaze et de glam à la Suede), Kula Shaker (Open Book, tirant vers James) et même U2, sur la convaincante ballade In Slow Motion, que ne renieraient pas non plus les Editors. Tirant son nom d’un parc américain, situé au Nouveau-Mexique et consacré à la préservation de vestiges archéologiques anasazis, le groupe dégageait une certaine assurance, que l’on percevait notamment dans la morgue tout à fait british (charmante / agaçante) du chanteur. Nous étions passés à côté, normal, on ne peut pas tout chroniquer.

Quelques jours avant le concert, au détour d’un échange informel via un fameux réseau social, Léa Lotz, plus connue en ces pages sous l’alias Bleu Reine, dont nous suivons avec une grande attention les pérégrinations musicales, me propose d’assister à son premier concert au sein d’une formation qu’elle vient d’intégrer, et comme c’est à douze minutes à pied de chez moi et que pour une fois j’ai du temps libre, je dis BANCO. Ayant cru comprendre qu’elle n’en était que la nouvelle guitariste, j’ai été très étonné, une fois les lumières éteintes, de la voir prendre position au milieu de la scène, devant elle un microphone, un petit clavier, sa six-cordes en bandoulière, le groupe se lance dans un morceau de pop très catchy, où les chants de Malcolm et de Léa se mêlent et se répondent – mélodie simple, évidente, je pense aux Catchers, j’ai le sourire (« Sacrée Léa », je me dis), je me demande bien où tout ce petit monde va nous entraîner.

Vous l’aurez compris, il s’agit des Bandeliers, au sein desquels Léa remplace Declan, apportant souplesse et fluidité à des compositions teintées de psychédélisme, qui évoquent pêle-mêle Stereolab et les High Llamas. Devant un public très réceptif et entrecoupant son set d’interventions légères, le quatuor fait preuve d’une belle présence – j’essaie de prendre quelques photographies, mais elles sont pourries, alors je glisse ici celles de Léa Jacta Est (dont le premier album, paru l’année dernière, mérite toute votre attention), merci à elle.

Ensuite, tandis que j’hésite (Spreaders or not ?), ma vie défile devant moi : [(15 minutes d’attente pour me faire servir de la bière vomitive à 7 euros + 20 minutes d’attente pour aller aux toilettes) x 6 ] + (m’intoxiquer dans un minuscule fumoir rempli de hippies x 8) / me faire marcher sur les pieds toutes les deux minutes = plutôt mourir. Alors, je décide de ne pas disperser les bonnes ondes véhiculées par Bandeliers et remonte chez moi, en fendant l’air glacé, me demandant comment j’allais pouvoir raconter tout ça.



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