La vielle, c’est traditionnel, c’est sympa. Ce côté sympa + le son qui criaille, ça doit expliquer pourquoi j’ai souvent du mal avec cet instrument, presque autant de mal qu’avec l’accordéon.
Mais ce disque risque de bousculer mes a prioris, tout comme Alec K Redfern a bousculé mes a prioris sur l’accordéon : j’ose le parallèle entre ces deux musiciens qui explorent les limites de leur instrument en prenant des détours qui empruntent au punk, aux musiques bruitistes, expérimentales, improvisées, tout autant qu’aux musiques traditionnelles.
C’est d’ailleurs un peu le credo de l’aventureux label Pagans où l’on trouvera notamment les productions de la Familia Artus, se baladant joyeusement entre avant-garde pointues et patrimoine dépoussiéré, repensé, reponcé et lustré. A en croire l’exergue à laquelle fait référence le titre du disque, exergue aux allures de pamphlet pseudo-scientifique qui fait peur et où un voyageur du XIXe siècle trouve toutes les tares possibles aux landais, on pourrait plutôt parler en l’occurrence d’un traitement à la soude très caustique en matière de folklore recouvert de couches de mépris historique.
Voilà pour la tradition. Qui plus est, dans 1 Primate, il ne s’agit pas à proprement parler de vielle, mais d’un instrument hybride, alliant vielle alto et guitare électrique : ça s’appelle le Torrom Borrom. Et le genre musical dominant sera le "drone".
Drone, en anglais, ça veut dire "bourdon", comme le bourdonnement sourd et bloquant que produisent les dronistes, ce gros son harmonique qui évolue lentement : dans ce disque, cette note tenue menaçante et bloquante est bousculée par des figures rythmiques qui évoquent des boîtes à rythmes distordues qui mitraillent leurs takatakatakkkrrrtakakrrr et ça marche bien. L’utilisation de la guitare est chouette, m’évoque le Neil Young de Dead Man, ou des trucs bizarrement un peu surf dans Aqueras : l’idée est que la virtuosité ne prend généralement pas le pas sur le posage d’atmosphère, et que ça joue lentement, peu de notes, mais les bonnes au bon moment. L’hypnose du bourdon intra-utérin fonctionne en quasi-permanence, mais la variété des tons, et la durée relativement courte des morceaux pour le genre, font s’éloigner le risque d’ennui. Les passages à l’archet sont même touchants, on se demande comment il fait ça, c’est comme du baroque au ralenti et perdu dans l’espace intersidéral. A côté de ça on se retrouve à joyeusement remuer de la tête chez soi sur des passages comme la fin de Sérendipité.
Mon côté frileux de la vielle et du folklore en a pris pour son grade, de ce côté là mes oreilles se rouvrent un peu et c’est tant mieux. On pourra objecter quelques passages un peu bavards où ça joue un peu trop vite à mon goût. Et dans le même ordre d’idées, le morceau chanté, Pastors, m’a fait l’effet d’arriver comme un cheveu sur la soupe, de casser un peu l’ambiance cosmique d’écoute. Même si ce morceau chanté se termine sur un chœur bilingue anglais/gascon à deux voix vraiment étonnant et insolite, dont l’effet ouvre sur d’autres horizons musicaux, une sorte de presque-pop jubilatoirement étrange. Par ailleurs le titre Pastors est aussi la seule entrave à la fière démarche indiquée sur le bandcamp : "Ce disque a été enregistré en live sans overdub et sans looper" (sauf Pastors, donc). Peut-être l’aurai-je préféré en vrai morceau de fin de disque, tout simplement.
En clair et en résumé : disque super intéressant, expérimental, dont la volonté louable d’être accessible et de proposer de la diversité en restant dans le drone aboutit à des moments excitants et d’autres un peu déstabilisants, mais dont la démarche d’ensemble force le respect et l’affection, même pour des non-connaisseurs comme moi.