Pourquoi parler de la beauté alors que ce qui nous entoure est si laid ?
Pourquoi ?
Pourquoi ne pas renoncer face au pathétique, au creux, au factice ?
Comment parler de la beauté sans être ridicule ?
Je ne vous parle pas de ces beautés communes aussi vite vues, aussi vites oubliées.
Je vous parle de ce frémissement qui reste en vous comme l’empreinte d’une sensation ancienne.
Cette exacte certitude de percevoir encore le poids de ce nouveau-né dans vos bras comme une douleur d’un membre fantôme. Pourtant, aujourd’hui, ce nourrisson bat la campagne sans vous.
Cette sérénité simple, l’autre endormi, paisible dans son sommeil, lové dans ses visions nocturnes, emmitouflé dans ses rêves, pour un instant apaisé dans l’abandon.
Ce tout petit relâchement des membres tout de suite avant le flou dans le regard.
Pourquoi chercher la beauté ? Sans doute pour répandre quelques fractions d’éternité.
Pourquoi tendre ses bras vers une quête aux moulins comme le vieux chevalier rabougri les aime ? Car sans doute, on est juste bêtement humains, faillibles et temporaires.
Qui aurait cru il y a encore peu que Bill Fay reviendrait vers le devant de la scène ? Honnêtement qui se rappelait encore de ce songwriter des années 70, échoué sur des plages d’amnésie. Le nom circulait à nouveau depuis la réédition de ses disques inauguraux en 2005. David Tibet et Michael Cashmore de Current 93 eurent cette intelligence de contacter l’anglais pour l’inciter à revenir à une production musicale et à une création marche. Il y eut en 2009 "Still Some Light" comme première étape puis le déjà somptueux "Life Is People" en 2012 comme vraie renaissance.
Il est rare à l’écoute d’un disque d’être frappé instantanément par la qualité d’un disque. Pourtant, à force que je découvrais les titres qui constituent "Who Is The Sender ?", je prenais conscience que je vivais un événement, que j’étais face à un disque majeur.
Dès les premières notes ("The Geese Are Flying Westward") comme une évidence. Nul besoin de conciliabule ni de soliloque stérile.
Tentons là, tout de suite, de nous rappeler notre première écoute d’un de nos albums de cœur, ces extensions de nos viscères, ces fondations constitutives. Rappelez-vous le charme premier de "Harvest", la foudre venimeuse du "Unknown Pleasures", le compagnon "It’s A Wonderful Life" et peut-être commencerez-vous à mesurer le choc que vous ressentirez à l’écoute de "Who Is The Sender ?".
Dans ces 13 titres, il y a cette urgence tranquille d’un homme entré dans les grandes étapes d’une vie, celles où il est question de transmission, de perpétuelle suspension entre les souvenirs et l’envie de construire ce qui reste à construire. On sent chez Bill Fay une urgence heureuse à vouloir balayer le temps perdu, le rattraper, le dépasser.
On pensait "Life Is People" insurpassable, on se trompait. Nous vivons une expérience étrange pour ne pas dire paradoxale. En effet, nous assistons à l’éclosion d’un artiste en devenir comme si l’auteur de "Time Of The Last Persecution" reprenait le chemin entamé et laissé en friche dans les années 70.
Hantée de mysticisme, sa musique sonne comme des gospels bleus. ("Who Is The Sender ?")
Entre contemplation et introspection de ce qui est au plus profond de soi, de nous, Bill Fay quête la transcendance dans les mouvements immobiles d’un nuage, dans la mélodie moléculaire de la pluie, dans les rayons circulaires du soleil.
Apaisé, lucide, l’anglais évolue dans un monde sans âge, dans ces espaces temps qui font les standards.
Imaginez le Spiritualized de Jason Pierce qui délaisserait (enfin) son psychédélisme pompier, Ed Harcourt et ses quelques effets de manche en moins, le Richard Hawley des débuts.
Quand on parle de mystique en musique, très vite apparaît le nom de Nick Cave avec sa bible des Freaks. Chez Bill Fay, la transcendance est plus lumineuse, de celle qui accompagne.
Ce monsieur est de cette école, qui en quelques lignes, quelques notes deviennent des grands frères rassurants.
Du Rod Mckuen de "Push The Clouds Away" au David Sylvian de "Waterfront", Bill fay poursuit et prolonge ces parcours entre silence et élan divin.L’auteur de "Who Is The Sender ?" nous parle avec des mots simples, limpides, parfois lyriques de notre monde imparfait à l’image de son voisin de création, Paul Simon.
Une chanson peut changer une vie. Elle peut être un abri auquel on reviendra souvent dans les moments d’incertitude.
Une chanson peut être un abri, une maison accueillante.
La pluie ruisselle dans la gouttière engorgée. Les murs endormis. Il n’y a presque plus rien sous le soleil. La peinture qui s’écaille,la fissure dans le mur qui va grandissante,le salpêtre, la pierre qui suinte nos épilogues, la charpente qui ploie sous les craquements.
Ici, là, exactement sous le soleil
La vieille maison s’éveille doucement. Dans un souffle tranquille, elle éloigne les feuilles éparses et jaunies.Un oiseau embrasse la fenêtre encore assoupie Tendre devrait toujours être la nuit
Dans le puits de lumière s’infiltre une jalousie,de ces impatiences humbles.Le papier peint égaré n’en finit pas de s’enfuir
Du ciel gronde un printemps, une chaleur reposante.
Sur la table un journal délaissé,une lettre pas encore ouverte, les noms de ceux-là désertés,les noms de ces rues. Il reste tout au plus une trace, il reste la sincère raison, il reste l’utile façon.
Où sont les vieillard des lacs ? Où est la demoiselle ? Il va seul son chemin,ils vont seuls leur chemin. Il va traînant, il va sans but. Ici, là, exactement sous le soleil...
Il y aura toujours des pages imparfaites, des pages blanches bien trop envahissantes. Alors à quoi sert de parler de la beauté, de tenter de la décrire ? A remplir ces pages incomplètes, à vider de leur substance les miroirs sans saveur, à faire acte de pénitence, à nous aider à croire, à croire en soi et les autres.
Il n’y a finalement rien de plus nécessaire que l’inutile, il n’y a rien de plus profond que le limpide, il n’y a rien de plus précieux que l’un face aux multiples. Ce qui compte ce n’est pas l’acte mais son empreinte.