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À force de suivre d’arrache-pied le travail de Romain Lallement, on finissait par se persuader que le premier album de Rhum For Pauline était déjà sorti (depuis longtemps). Mais non, bien sûr : les Nantais, avec deux EP au compteur, prirent le temps d’échafauder une structure propice à ce qu’il conviendrait ici de nommer « l’album consécration ». Cette longue absence (« Can Reach The Top » remonte à 2012), accentuée par le fait que jamais l’auditeur ne s’inquiéta pour la bonne santé du groupe, explique en partie pourquoi Rhum For Pauline donne aujourd’hui la sensation d’exister depuis… toujours ! Ainsi en va-t-il des formations amies : elles évoluent à leur guise, loin de tout stress, mais chaque nouvelle livraison possède une valeur unique.

« Leaving Florida », donc… Difficile de ne pas lier cet intitulé au tout premier EP de RFP, « Miami » (2010). Hier, les fantasmes musicaux (Fleetwood Mac, Beach Boys, It’s Immaterial, pour aller vite) s’ancraient dans la sphère estudiantine, dans une idée d’horizon infini. Comme son titre l’indiquait, « Miami » envisageait une existence hors des frontières, sans garde-fou mais avec déraison. Ne pourtant pas oublier cette réplique culte prononcée dans le film « Fandango » : avant de se faire traiter de « Peter Pan », le personnage joué par Kevin Costner précisait « qu’il n’y a aucun mal à aller nulle part, c’est le privilège de la jeunesse ». Car si les ailes de l’adolescence permettent de fabuler le monde tel un territoire à conquérir, il s’agit d’un leurre. Un jour ou l’autre, il faut bien vieillir un brin lucide. « Leaving Florida » : quitter l’enfance et ses illusions, concevoir la fin du rêve puis admettre que les années filent très (trop) vite… Un titre du disque se nomme par ailleurs « Pan Peter ». Une inversion qui place le sablier à contretemps : non plus de la jeunesse jusqu’à l’éternité mais du moment adulte jusqu’au… décès ?

Pourtant, si les neuf titres de « Leaving Florida » transpirent l’inquiétude (« Miss », « Alone with Everyone », « When Endless Ends »), le quintet – Antonin Pierre officie dorénavant à la guitare et Pegase au clavier – joue avec les contrastes. Là où le propos du disque paraît naviguer autour de la fin des idéaux et d’un no man’s land de plus en plus circonscrit à soi-même, la forme, elle, préfère la tangente et refuse la voie (voire la voix) unidirectionnelle. Rhum For Pauline pratique certes, ad vitam aeternam, un étrange R’n’B tendance indie-rock ; mais chaque chanson de « Leaving Florida » contient sa propre nécessité : une merveille soul se voit contredire par l’irruption d’un titre limite power pop (« No Hugs », par exemple, rappelle le meilleur de Maxïmo Park), les grattes ligne claire batifolent avec une rêverie cosmique (« Masquerade », sommet du disque, beau jusqu’aux sanglots), le chant de Romain diversifie les intonations – l’ensemble, dans cette pluralité, sonne néanmoins comme parfaitement homogène.

Le « premier » album de Rhum For Pauline (quand bien même est-il légitime de considérer les deux précédents EP comme des bornes essentielles – à l’échelle humaine du fan) est un disque qui redoute l’assagissement et l’attitude blasés que présuppose parfois le consensus adulte. À cela, le groupe, vindicatif, répond par la seule source d’émerveillement lui tenant à cœur : le bonheur de créer une musique aussi libre qu’intemporelle. Pourquoi exercer un métier artistique, questionne Rhum For Pauline ? Très simple : pour ne pas finir vieux con trop vite et trop jeune !




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