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Le rêve de tout homme (hormis les saucisses Knacki, les jeux vidéos et la pornographie) : l’éternité. Tel le Sheffield FC, fondé en 1857 et actuellement pensionnaire de Northern Premier League (en gros, la huitième division), les clubs de football survivent à leurs joueurs et traversent les âges. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les groupes de rock, dont le nom au fil du temps devient une marque destinée à remplir les stades et appâter les gogos nostalgiques ? Et je ne parle même pas des concerts donnés par des hologrammes d’Elvis Presley, Maria Callas et Benjamin Biolay. Non, les groupes deviendraient des dynasties, les enfants reprenant au décès de leurs parents le flambeau et composeraient de nouvelles chansons, et ainsi de suite. Pour ma part, sans cynisme aucun, je trouve que c’est une excellente idée, sachant qu’au cours d’une simple carrière les artistes trouvent le temps de devenir les caricatures d’eux-mêmes et de s’autoparodier sans même s’en rendre compte.

Le lecteur averti se demandera où est passé l’orchestre du Penguin Cafe Orchestra, fondé en 1974 par Helen Liebmann et Simon Jeffes, actif jusqu’à la fin des 90s et le décès du second nommé. Groupe à géométrie variable, entre folklore anglais et avant-garde (Brian Eno publia en 1976 Music From The Penguin Cafe sur son label Obscure Records), il avait le goût des expérimentations, tel ce Telephone and Rubber Band construit sur une boucle de sonnerie de téléphone : son éclectisme lui permit entre autres d’ouvrir pour Kraftwerk et de trouver en Yann Tiersen un héritier tout à fait honorable.

J’en reviens au lecteur averti : l’orchestre a disparu, bien vu, capitaine obvious. Lorsqu’en 2009, Arthur Jeffes, fils de et moitié du duo Sundog, a repris le flambeau, par respect et pudeur il amputa le nom du projet, qui est devenu Penguin Café, et depuis accumule les albums, Rain Before Seven… étant à ce jour le cinquième, publié par le label londonien Erased Tapes (Bell Orchestre, Rival Consoles, Nils Frahm). A noter que Neil John Codling, guitariste de Suede, Cass Browne, percussionniste chez Gorillaz, Oli Langford (Florence and the Machine) et Darren Berry (Razorlight) font partie du prestigieux line-up.

On sait qu’en concert Arthur Jeffes, diplômé d’archéologie du Trinity College de Cambridge, reprend les œuvres de son père tout autant que ses nouvelles compositions, et la classieuse ouverture cinématographique Welcome to London, clin d’œil à Ennio Morricone, s’inscrit pleinement dans ce qui pourrait être une quête spatio-temporelle, reliant les genres et les époques. Optimiste dans le fond et la forme, Rain Before Seven… ne se prive jamais d’une espièglerie qui fait du bien, à l’instar d’un In Re Budd qui fleure les îles du Pacifique et la rumba. Certes, il a plu, mais la pluie est passée, la mélancolie est derrière nous et la soirée à venir s’annonce décontractée : ukulélé, piano préparé, balafon, melodica, dulcitone, lapsteel s’invitent à la fête – ce ne sont pas moins de dix musiciens qui interagissent sur des gammes répétitives aux bout desquelles une certaine transe joue avec nos sensations amusées.

Cela étant, la profusion d’accords simples joués en boucle, accompagnés par des rythmiques binaires entraînantes (Second Variety, Galahad) nous rapproche inexorablement des musiques mille fois entendues dans les publicités ou les fonds sonores des vidéos dédiées aux compilations des meilleurs buts de football – comme un creux structurel, où sont les glissements harmoniques et les tierces, les ruptures et les changements de gamme ? Parfois, on se croirait dans une pub Herta, ne manquent plus que le berger allemand qui gambade après un papillon et la famille nucléaire souriante, heureuse de manger des saucisses au bord de la rivière (pas pour rien qu’en début de chronique j’évoquais mes adorées Knacki).

Au delà de la profusion ornementale, les dix instrumentaux de Rain Before Seven… sonnent paradoxalement pauvres, parce que dénués de complexité, de surprises, de chemins de traverse, mais j’ai tendance à penser que c’est conjoncturel et que pour une oreille non avertie, le problème n’existe pas. Dans mon imaginaire dépoli, Penguin Cafe fait de la muzak. Pour la petite histoire, c’est le général américain George Owen Squier qui a inventé ce terme dans les 1920s, contraction des mots musique et Kodak, qui se résume ainsi : sitôt diffusée, sitôt oubliée. On parle également de musique d’ascenseur, de supérette ou d’aéroport (coucou le Ambient 1 : Music for Airports de Brian Eno), et plus tard, allié à la french touch, qui en était le bâtard putatif, le lounge est devenu cool (confère Bertrand Burgalat) et les plantes, mais aussi les vidéos Youtube et les publicités absconses trouvèrent leur bande son idéale – do, la mineur, sol – pour l’éternité à venir. Boucle bouclée et chronique terminée, l’éternité n’est pas un futur enviable.




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