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About bridges. Les ponts relient ce que le temps isole, ravivant les rives mémorielles d’une vie consacrée à la musique. Il s’agit pour Régïs Boulard, émérite percussionniste ayant œuvré pour les Sons of the Desert, Trunks, Olivier Mellano et Arnaud Le Gouëfflec, d’évoquer, au travers d’un album consacré à la batterie (une Premier Elite de 1978), passions enfantines – déclic primordial, clinquante fanfare lors d’une fête de village ou westerns en noir et blanc – et prédilection pour un instrument au registre infini (un piano avec des peaux en lieu et place de touches plaquées d’ivoire ?), qui trop souvent se voit dans la musique moderne relégué au second plan, quand bien même la maîtrise du beat est essentielle. Sans piliers, pas de ponts, du moins pas de ponts imposants, ce n’est pas Keith Moon qui nous contredira. Hormis quelques vocalises et un carillon à quatre notes, only batterie. Si le programme offert par Régïs Boulard et Nico Sacco, qui officie derrière les manettes, peut sembler aride, il n’en est rien : l’on n’est pas dans la virtuosité décontractée d’un Jay Dorfman (remember le dantesque solo de batterie nimbé de flanger sur le Silly Sally de Sweet Smoke, cinq minutes de bonheur, un must) ou la citation hasardeuse d’un avant-gardisme nébuleux, mais plutôt dans la cartographie pure et simple d’un univers intérieur qui fait du silence et de la réverbération des instruments à part entière. Sans silence, pas de musique. Sans rives, pas de pont. Sans mémoire, pas de présent. Au travers des dix-huit compositions de About Bridges, on sent que Régïs se scrute émotionnellement tout autant qu’il ausculte les ondes sonores générées par le martèlement des fûts, les laissant dériver d’un mur l’autre pour en capter l’essence même, l’essentiel. Ample, minimaliste, parfois monolithique (le bien nommé KillMotor Hill), cette cartographie mentale, transcrite à bouts de bras et de baguettes, ne s’épargne pas quelques traits ironiques, à l’instar d’un Chez Lipp A Deux (C’est Toujours Joyeux) dont la tonalité menaçante laisse deviner que le dîner ne fut pas aussi cordial que son intitulé le laisse paraître. Les ponts relient, ils brûlent aussi : par ses roulements quasi militaires, le martial About Burning Bridges (Ravel énervé) évoquera peut-être le film The Bridge on the River Kwai, qui certes ne brûle pas mais explose, c’est un peu tout comme, non ? Avec About Bridges, Régïs Boulard nous livre une œuvre singulière et néanmoins captivante, qu’il convient d’écouter au casque, pour en apprécier le sel et les subtilités. Émerveillé par la fanfare du village de ses grands-parents, l’enfant a grandi, au point de s’accomplir en tant que musicien, mais continue d’interroger son propre enthousiasme, au travers d’un album à la fois expérimental et accessible – la production est lumineuse – qui fera office de carte postale, adressée au passé tout autant qu’au futur. Madeleine.




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