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  • 26 février 2010 /
    Moonman
    l’interview

    réalisée par gdo

Interview réalisée via mail en Novembre 2006

Ne connaissant pas Moonman, peux-tu te présenter ?

— Moonman est en quelque sorte un alter-ego, un personnage , une sorte de miroir qui me renvoie une image sonore sublimée de ce que je suis ; à savoir un homme ordinaire. Le projet est né il y a bien longtemps. A l’époque (1997), j’ai appris la guitare en composant d’abord à deux accords, puis à trois, puis à quatre sur une gratte sèche. Ensuite j’ai découvert Autechre , Boards of Canada et surtout Sonic Youth alors avec les moyens du bord, j’ai essayé de mélanger mes influences à des moyens plus modernes quoique toujours lo-fi. Çà a donné un premier album " Manipulators ", sorti fin 2003. Puis, les occasions de jouer live devenant de plus en plus pressantes, je me suis attelé à travailler sur des structures et des arrangements de facture plus indie pop, indie-rock, globalement plus en phase avec mes vraies envies et ce que j’aime faire. Le nouvel album " Necessary Alibis " est sorti mi Septembre dernier.

Comment définirais-tu ta musique ? Si je te dis que tu me fais penser de plus en plus à un Bob Mould qui aurait connu un onduleur tu me jettes la foudre ?

— Je ne la définis pas vraiment, car je touche toujours aujourd’hui aussi bien à l’indie folk qu’au vrai rock indé un peu désaxé qui tâche avec un projet electronica assez pointu que j’essaye inlassablement de mener à bien… même si le travail en groupe aujourd’hui et la promo live de " Necessary Alibis " mobilise mon attention, je ne me borne pas à une étiquette que je trouverais réductrice… d’aucuns diront que je m’égare, mais ce n’est pas vraiment le cas. Je ne connais pas bien l’œuvre de Bob Mould, juste à peine Husker Dü qui ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. Je regarde plutôt avec respect des gars comme Jim O’Rourke ou Thurston Moore qui sont aussi passionnants dans l’électronique, que dans la pop hyper-arrangée ou dans une attitude punk irrévérencieuse. Cà m’éclate de brouiller les pistes à chaque nouvelle sortie, même si je tends à plus me retrouver dans la collaboration avec d’autres musiciens, chose que j’ai fui pendant longtemps.

Pourquoi ne pas avoir choisi de sortir les disques sous ton nom ? C’est l’idée de peut être un jour rameuter pour l’aventure et faire de Moonman un groupe ?

— A vrai dire, mes initiales sont dans ce pseudo, ce qui me permet de garder un brin d’identité originelle malgré tout. Je pense que c’est une question qui demeure sans réponse. Le fait est que c’est facile à retenir et que çà peut évoquer un côté mystérieux et onirique que ressort toujours malgré tout. Par contre l’idée de groupe est complètement étrangère au concept de base. J’ai justement trouvé plus judicieux de nommer le groupe de scène qui m’accompagne (" the unlikely orchestra ") et ce pour de nombreuses raisons. Même si ce n’est plus vraiment une formation à géométrie variable, on a tendance à se stabiliser, ce qui est quand même plus pratique et productif. Il n’est d’ailleurs pas exclu que Moonman s’efface derrière ce nom commun qui me plaît. Mais, sans mauvais jeu de mots, c’est improbable à court ou moyen terme. On verra.

Quelles sont tes influences ?

— Je suis un fan invétéré de Sonic Youth donc, collectionneur de bootlegs pourris et de leurs productions individuelles ou en projets parallèles. Je tends à avoir un sens critique plus aiguisé à présent, mais je me rappelle d’un temps où j’aurais avalé n’importe quelle effusion de larsen de leur part. Ils ont définitivement changé ma perception de la musique en général, en tant qu’auditeur et en tant que musicien. Cà m’a ouvert des portes, des horizons. En plus brut de pomme, il y a aussi eu Sebadoh, Pavement, Pinback, les Pixies, toute cette école. Et puis tous ces groupes incroyables d’autour de Chicago : Jesus Lizard, 90 Day Men et surtout Shellac, qui fut une énorme claque aussi (" At Action Park ") ; Mais j’écoute pleins d’autres choses aussi. John Coltrane, Dominique A., Nick Cave…Récemment j’ai beaucoup aimé Ramona Cordova, Thomas Mery, Angil, Half Asleep ou quelques morceaux de l’album solo de Thom Yorke, qui m’ont scotché.

Pourrais tu sortir un disque sans guitare ?

— Intéressant. J’ai eu cette discussion avec Gilles Delès (Lunt) pendant les longues séances de mix de " Necessary Alibis ", qui me racontait que lors du mixage de " Teaser : for matter " de Angil, la révélation était venue sur quelques morceaux en enlevant carrément l’élément moteur du morceau, à savoir la guitare (d’où le morceau " No more guitars " si je ne m’abuse). Je pense que le prochain Moonman se prêtera à quelques essais à ce niveau, mais sûrement rien de très radical, juste des expériences. Je compose essentiellement à la guitare, car c’est mon instrument de prédilection, celui qui me touche. J’aimerais approfondir le piano plus tard. C’est vrai que je salive en écoutant le dernier Bashung et ses arrangements. Mais pour l’instant, c’est rock n’roll.

J’ai eu du mal avec ta voix sur le premier album " Manipulators ", qui me parait changée sur " Necessary Alibis " ?

— Oui et non. Je pensais que le passage du home-studio à un environnement bien plus pro changerait cet aspect un peu monomaniaque et introverti, mais non, pas vraiment. Ceci dit j’ai moins de mal à écouter ma propre voix qu’au début, donc il y a sûrement de la marge à ce niveau. C’est encore différent en live, les titres évoluent et ma manière de les chanter aussi. Et puis j’ai ébauché de nouvelles techniques en doublant ma voix sur trois octaves différentes sur " Letters to the dearest " et je dois avouer que je m’y suis vraiment retrouver alors je vais réutiliser çà sur le prochain. Il faudrait juste trouver deux trois chœurs pour le live ou une pédale hyper-évoluée pour trafiquer la voix en direct, çà doit pas être impossible !

Tu t’occupes également du label Greed Recordings, tu peux nous parler de ce label ?

— Greed Recordings est né comme tant d’autres labels amis. Des disques à sortir et aucune structure volontaire pour travailler dessus. Pourquoi déléguer quand on peut faire les choses soi-même ? En réalité, ce label revient de loin. Je l’ai créé pour moi-même lorsque je m’amusais à " sortir " des K7. Je faisais des visuels à la Pavement avec des images découpées, bien foutraques. A l’époque, une sortie c’était simple, faire 5 copies de cassettes aussi et les filer à mes potes qui ne les écoutaient pas. Ca aurait pu s’arrêter là. Mais même au travers de périodes durant lesquelles l’activité musicale était réduite, je gardais ce pseudo label sous le coude avec l’idée à l’époque irréalisable qu’un jour j’en ferais quelque chose de viable, de pragmatique touchant au concret ; ce que je fais aujourd’hui. Il est globalement rené de ces cendres, au moment opportun, avec la première sortie pressée et distribuée de Moonman, " Manipulators ", il y a 3 ans. Depuis de nombreux projets ont vu le jour. J’ai adopté la Creative Commons License sur les conseils de collègues qui gèrent aussi des labels et ce, uniquement pour les projets online et cd-r. Le label évolue aujourd’hui au niveau national + Benelux et m’offre plus de satisfaction chaque jour et nous avons régulièrement des commandes venant des Etats-Unis, du Royaume-Uni et du reste de l’Europe. C’est l’avantage du web. Tout ceci serait resté confidentiel il y a dix ans. Le label se développe actuellement très rapidement, grâce à des partenaires efficaces tels que COD&S, notre structure de distribution, mais à la force du poignet et c’est tant mieux. On n’est jamais aussi heureux des choses qui vous arrivent que quand on a lutté pour les obtenir. C’est le plaisir du travail bien fait. Le seul inconvénient , c’est que tu te crées une pression monumentale à vouloir faire avancer les choses, à tel point que çà en devient parfois absurde ou ubuesque.

Ce label c’était avant tout pour éclairer tes disques, ou également et surtout pour sortir des disques comme tu peux le faire avec les excellents Cornflakes Heroes ?

— J’ai tendance à faire complètement abstraction du fait que je travaille sur ma propre promo quand c’est le cas. Je travaille sur la sortie d’un Moonman comme si c’était un artiste extérieur que nous viendrions de signer par exemple. C’est la meilleure manière de voir les choses dans ce contexte précis. En l’occurrence c’est de moins en moins le cas, et je passe de plus en plus de temps à m’occuper des autres artistes et groupes dont nous sortons les disques. Cà ouvre des perspectives là aussi. Car ce sont des rencontres musicales, qui deviennent fatalement des rapports humains avec ses hauts et ses bas. C’est passionnant. Globalement faire profiter les autres de tes contacts et de ton expérience est une énorme valeur ajoutée sur une simple activité musicale personnelle et c’est ce vers quoi je tends de plus en plus. C’est une respiration et une manière productive de prendre du recul.

Pour en revenir à ce nouvel album, pourquoi cette symbolique du cow-boy après celle du secourisme sur " Manipulators " ?

— J’aime l’idée du concept, même si on est plus dans quelque chose qui fait référence à une cohérence entre le son, le propos et l’image. Cà s’est imposé longtemps avant la fin de l’enregistrement de cet album. J’avais trouvé il y a un bon moment une coupure de journal dans la rue. C’était tout bêtement une image qui rappelait l’affiche d’une sorte de western spaghetti avec deux cowboys se faisant face, prêt à armer leurs colts… Cette image me plaisait graphiquement et j’ai même pensé à l’utiliser telle quelle. Je l’ai d’ailleurs utilisé quand la maquette de l’album a commencé à circuler avant la sortie. Jusqu’à ce que quelqu’un me dise un jour " Ha ouais j’adore ce film ". C’est là que j’ai réalisé que cette image était l’affiche d’un film bien connu, dont j’ignore le nom. Inutilisable donc en l’état. Mais avec mon ami et guitariste Lionel, qui est un extraordinaire dessinateur, fan de Bilal, on a repensé l’idée de départ à laquelle je tenais, on a imaginé ce qui se passait avant, pendant et après cette scène. Le reste est à découvrir à l’intérieur du livret. Globalement, il y a toujours une dualité menaçante, inquiétante dans ces thèmes. Dans " Manipulators ", on ne sait pas si la personne sur la pochette va secourir comme tu dis ou " manipuler ", aggraver le cas de l’autre. On ignore même jusque savoir si ce n’est pas cette personne qui a créé le malaise. Pour " Necessary Alibis ", on est sur une thématique du procès, du mensonge, du règlement de compte, des explications. Là également on ne sait pas qui est coupable, qui est innocent. C’est une problématique que l’on retrouve beaucoup dans les textes.

" Necessary alibis " est plus accessible que " Manipulators ", c’est voulu, ce sont les choses qui se sont imposées d’elles-mêmes ?

— C’est étonnant que tu dises çà, car ce n’est pas automatiquement mon avis, surtout sur le final de l’album, mais c’est un débat un peu stérile. Il sera plus accessible pour certains ou insupportable pour d’autres. Je n’ai pas cherché à aller dans un sens ou dans l’autre, j’ai fait ce dont j’avais envie et je suis allé au bout de mes idées avec l’aide de coproducteurs qui ont su me faire avancer dans la bonne direction ou me poser les bonnes questions au bon moment afin que ce disque aboutisse. Je me suis beaucoup remis en question. J’avais envie de mélodies immédiates et en même temps je voulais du chaos, du bordel, du mystère. Au final , c’est ce que l’on a créé. Pour comprendre cet album, il faut envisager la dualité qui est au centre de sa conception. La notion de cercle vicieux qui revient de manière latente dans " Victims of your own device " par exemple.

A ce sujet comme nous pouvons le voir sur le site du label et sur Myspace , le graphisme a de plus en plus d’importance pour toi, peux-tu nous parler de ce travail et de la relation que tu donnes entre cette facette et la musique ?

— La relation entre le son et l’image est déterminante car elle a tendance à façonner ta vision du disque et représente la puissance évocatrice de ce que tu tentes de faire passer par ailleurs par les instruments ou les voix. J’adore m’abrutir à scruter les moindres détails des pochettes des albums que j’achète, ou juste simplement en magasin. Pour un artiste l’image n’est pas négligeable, c’est un univers que tu crées. Pour le label, on a cette récurrence des mains qui est finalement un pied-de-nez assez personnel que je préfère garder secret, mais je m’éclate à travailler sur l’image des artistes avec lesquels nous collaborons. Je l’ai fait depuis le départ avec les séries mixed media " Artwork " ou avec les " Pièces pour guitare préparée " qui sont de vrais travaux sur le rapport entre le son et l’image.

Cette année tu as également sorti un disque en CC, disque que j’ai la faiblesse de préférer à " Necessary Alibis ". Pourquoi ne pas en avoir fait une sortie normale du label ?

— Je ne considère cette sortie comme " anormale ". A chaque contexte sa solution et son public. Les ambitions ne sont pas du tout les mêmes sur ces deux projets. Je me suis retrouvé à travailler sur des boucles de guitare acoustique à un moment où beaucoup de choses changeaient autour de moi. Je voulais expérimenter musicalement et vocalement, et puis j’avais de nouvelles choses à raconter. Il fallait que çà sorte rapidement, en écriture automatique, sans production extérieure. " Letters to the dearest " a été conçu en trois mois et sans objectif particulier, alors que " Necessary Alibis " est un projet que j’ai porté à bras le corps pendant trois ans et cet album n’en est qu’au tout début de son existence maintenant qu’il a été livré au public. " Letters to the dearest " était une réaction spontanée à une situation et à des sensations nouvelles qui m’ont intensément troublé, voire retourné comme une crêpe. " Necessary Alibis " est plus un travail autour de la résiliance, du recul, de l’acceptation de certaines choses via des règlements de compte comme je le disais ou des constats, ou le fait de raconter de vraies histoires comme des voyages effectués il y a très longtemps et qui ont été déterminants. Finalement " Lettres to the dearest " est un disque qui m’a permis de patienter et de faire patienter ceux qui attendaient " Necessary Alibis " au tournant. Un laboratoire ludique et spontané duquel sont sorties pleins d’idées que j’exploiterai à l’avenir.

’ai toujours une marotte qui ne cesse de me turlupiner, mais connaissant les liens que certains labels se portent (Unique, Another Record, Greed Recordings….), l’avenir n’est-il pas au final de s’allier pour mieux exister, ou penses-tu que la multiplication des labels est comme un espace de fleurs sans ordre horticole ?

— Cà créerait une sorte d’anachronisme peu enthousiasmant : une sorte de multinationale indépendante. Plutôt que de fusionner des labels pour en créer un énorme, l’avenir réside plutôt dans la multiplication des initiatives, qui ne partent pas automatiquement des labels d’ailleurs : le FAM à Toulouse (créé certes par Unique records) ou encore le festival " Meeting people is easy " à Paris en Décembre qui reprend une éthique similaire et tout aussi intéressante. Chaque label a une personnalité différente. Si tu poses la question à n’importe quel label que tu cites, tu auras toujours la même réponse. Si l’idée est a priori séduisante, dans les faits c’est inenvisageable parce que chacun tient à singulariser son travail autour de ses groupes et artistes et c’est justement le fait que tous ces labels se retrouvent autour de thèmes, d’esthétique musicale ou de philosophies complémentaires qui rend cette scène si dynamique, enthousiaste et tenace, face à l’apathie déconcertante des programmateurs de salles, plus concernées par le chiffre d’affaire que par la pertinence de leur programmation, bien souvent. Même réflexion pour certains grands titres de presse qui ne se mouilleront jamais à chroniquer des artistes qu’ils ne connaissent pas, avant qu’un buzz ne parviennent à leurs oreilles et que tout le monde s’engouffre comme des moutons de panurge écervelés et intéressés. La solution est l’entraide entre nos structures. Certains l’ont compris avant d’autres et se sont fait forts de fédérer d’autres structures émergentes mais volontaires, en demande de conseils, de contacts et d’encouragements. C’est stimulant, artistiquement et humainement.

L’avenir de Moonman et Greed Recordings ?

— Pour Moonman, beaucoup de live en 2007 pour la promotion de " Necessary Alibis " et certainement avant la fin de l’année prochaine, un début de production pour le prochain album dont la plupart des titres sont déjà composés. Pour Greed Recordings, un programme chargé et une grosse actu. Le nouveau LP de Century of Aeroplanes est sorti le 15 Octobre dernier, en mp3s/cdr deluxe. Le premier album des Cornflakes Heroes " Off with your heads !" sort en France et au Benelux le 5 décembre et s’apprête à faire un gros carton dans les bacs et sur scène cette année, pour peu qu’on soit fin connaisseur d’ambiances à la Sebadoh, Sonic Youth, Pavement et autres Herman Düne. Un maximum de live et de promo pour eux aussi toute cette année. Au rang des sorties mp3s/cdr cette année : Fin jnavier, le nouvel album de Delphine Dora and Friends (avec Half Asleep et Jullian Angel aux manettes), ensuite début Mars, le post-rock / post-punk classieux mâtiné de violon des italiens d’Action Dead Mouse et enfin deux projets singuliers : le premier album de eUd (duo expérimental avec Gilles Delès aka Lunt aux guitares + Thom au trombone , qui s’est notamment déjà illustré au sein de Angil and the Hidden Tracks ou encore The John Venture), ainsi qu’un ep de 5 titres de Secret Name , nouveau projet songwriting de JL Pradès aka Imagho.

Alors nous le faisons quand ce festival dans la forêt qui nous sépare, avec Moonman, Angil, Hoepffer, Jullian Angel……au milieu des biches, sangliers et des écureuils ?

— Quand tu veux, les biches et les sangliers, ok mais les écureuils ne sont pas admis

Le mot de la fin est pour toi ?

— Merci à toi, bravo pour ton activisme sain et désintéressé et longue vie à ADA !