Sur la route avec Uzi & Ari
Quelle(s) photo(s) sur le permis de conduire
Un nom de duo pour 6 musiciens menés par un jeune homme sensible ? C’est Uzi & Ari, bien sûr, qui m’accueille au 1er étage de La Matlerie un peu avant le premier concert d’une longue série en Europe. Les fans de Wes Anderson auront sûrement reconnu la référence à la Famille Tenenbaum d’où est tiré le nom du groupe, les autres n’auront qu’à s’imaginer une étrange tribu à géométrie variable menée par un patriarche calme et sensible. Car le groupe est à l’image de sa musique (et du cinéma de Wes), humain et fragile, sombre et optimiste à la fois.
Coup d’œil dans le rétro :
On voit 2 albums, et cette envie de tracer la route, mettre de la distance entre l’Utah, un état au climat religieux étouffant, et la petite aventure musicale à la bicéphalilté contrariée qui avance sans destination mais avec un Ben Shepard vigilant au volant. S’il doute beaucoup dans le dernier album, Ben accepte sans problème de revenir sur les 2 précédents albums. Il y a d’abords ‘Don’t leave in such a hurry’, aux envolées très rock. Shepard le voit comme une recherche où s’exprime le côté romantique et le sentimentalisme exacerbé de ses 20 ans. 20 ans, l’âge de l’intransigeance, un volcan qui détruit pour construire, comme en Islande qui apparaît sur la pochette de ce premier album où les influences semblent évidentes et pourtant où déjà on sent l’envie de passer à autre chose. Au cœur de cet opus se déclinent les relations houleuses et douloureuses, les peines qu’il ne veut pourtant pas fuir car elle construisent et sont finalement formatrices. Arrive ensuite ‘It is freezing out’, titre à la nostalgie amère, traversé par un sentiment de culpabilité liée à l’enfance que la pochette ne fait que souligner. Ben se débat alors avec des sentiments contradictoires à propos de l’homme qu’il est en train de devenir. Le meilleur moyen d’y faire face semble pour lui d’avancer et, au risque de décevoir ses premiers fans, il décide d’évoluer. Il n’a pas envie de faire encore et encore le même album.
Panne des sens et crise de Foi.
La conversation continue sur la genèse de Headworms. Un titre plus court pour un message qui se veut plus simple, mais pas forcément plus direct. Je suis surpris d’apprendre que la démarche à l’origine de l’album est profondément religieuse. C’est oublier que le berceau du groupe ressemble plus à une crèche fondamentaliste qu’à un couffin rose bonbon. Shepard revient sur l’écriture du disque qui est traversé par la perte des certitudes. Le groupe se retrouve sur cette désillusion partagée et cette expérience déstabilisante devient exploration spirituelle pour les jeunes musiciens. Ben propose des mélodies ou des textes toujours écrits d’une traite qui crée une cohésion à l’intérieur de album. L’univers sonore et visuel est pensé comme un tout et, au-delà des clins d’œil ou des influences, il y a la volonté de cohérence qui est accentué par l’urgence dans laquelle sont écrit les chansons. Son colocataire à l’époque du premier album et qui a depuis rejoint le groupe, J. Garrett Martin, n’hésite pas à parler dans le cas de Uzi & Ari d’albums concepts où se marient des thèmes très personnels mais aussi une perspective universelle. Et Ryan Moore, le violoniste du groupe, d’acquiescer. Les albums ne sont pas une série de singles. Pour lui, la musique est toujours plus importante que la règle ou l’idée qu’on s’en fait. Elle parle à tout le monde.
Sous le capot
Quand je demande pourquoi utiliser de l’informatique, la réponse paraît d’abords trop simple. Shepard rappelle les difficultés pour réunir tout le groupe et avoir suffisamment de temps d’enregistrement pour tous les instruments. L’utilisation des machines vient avant tout de cette limite matérielle. Le son de ce 3ème album est d’ailleurs le fruit d’un long travail de postproduction et d’overdubbing. Cela lui donne un aspect froid et très construit à la première écoute. Il faut d’ailleurs aller les voir sur scène pour voir comment le groupe se réapproprie des morceaux qu’ils n’ont que rarement jouer ensemble auparavant.
Des vers de tête
Ben avoue que ce 3ème album est à la fois intime et complexe. Comme pour les 2 premiers, la couverture de l’album a reçu un soin particulier. Il s’agit d’une photo où le flou de la caméra nous fait voir 2 silhouettes, image récurrente dans le courte discographie du groupe, là où il n’y a en fait qu’une personne. L’idée de sortir de soi même pour devenir quelqu’un d’autre, non pas de se fuir mais plutôt de s’ouvrir à l’autre, est un des thèmes de l’album où le Spleen ne se prend jamais au sérieux. La présence de la douce Catherine Worsham au chant et à la viole, d’Andrew Glasset derrière la batterie qui amène un rythme très dance et de David Moore, ‘futur mannequin pour sous-vêtements’, participe de ce double mouvement. Pour eux, si plus rien n’est certain et si l’avenir semble sombre, autant proposer des mélodies joyeuses et positives. La perte des repères n’est pas tragique. Les chansons parlent aussi de cette énergie nécessaire pour trouver l’équilibre à travers un nouveau système de valeurs. Le titre de l’album vient en fait des dilemmes et des contradictions qui tournent sans fin dans la tête du décidément torturé Ben Shepard. La perte des références religieuses et de la Foi n’est pas une libération pour le groupe de l’Utah. En cela, le disque peut être présenté comme une tentative de réponse, une volonté de construire un système spirituel cohérent, une sorte d’inventaire de ce qui compte vraiment eux. Et, quand la discussion prend un ton vraiment trop sérieux, Ryan Moore nous coupe pour rassurer : ‘c’est bien marrant aussi !’
Propos recueillis par B. Dubiez pour ADA.
rédigé par B. Dubiez
Merci à La Malterie, Uzi & Ari et Valentin Sanchez d’Own Records.