En 2014, associé à Rafael Anton Irisarri, Benoit Pioulard signait le deuxième album de Orcas, « Yearling », un d(e m)es disques de l’année. Contrairement à ce que l’un des plus beaux morceaux de l’album ( « Infinite Stillness ») pourrait laisser penser, Benoit Pioulard / Meluch pour l’état civil, n’est pas resté inactif très longtemps en 2015.
Dès le début d’année, il réactivait son projet solo en sortant chez Kranky « Sonnet » au sein duquel « So etched in memory » venait réactiver l’empreinte que les boucles électroniques, synthétiques et contemplatives de « Hymnal » avait laissée en 2013.
En parallèle, il sort en avril « Stanza » puis « Stanza II » en septembre avec toujours ce goût pour les ambiances électroniques minimales voire minérales
sur ce dernier.
X – Stanza II
Le hasard a fait que ce second volet est sorti presque au même moment que « Cemetery of Splendour » de Apichatpong Weerasethakul et que dans mon esprit ce disque et ce film se sont répondus pendant de longs moments.
Le film est, comme toujours avec le cinéaste thaïlandais, difficilement résumable en deux lignes. Mais il y est question de Jenjira, infirmière infirme venue s’occuper de soldats au sommeil inexpliqué dans un hôpital construit sur les vestiges d’un cimetière où dorment des rois Thaï. Le film mêle ainsi réel et fantastique, intime et politique, dans une beauté formelle à vous couper le souffle. (*)
Déjà, d’un pur point de vue graphique, l’artwork de « Stanza » & « Stanza II » m’a renvoyé immédiatement aux paysages que filme le réalisateur thaïlandais notamment au cimetière où se déroule l’action de la seconde partie du film.
Cemetery of Splendour de Apichatpong Weerasethakul
D’autre part, et peut-être surtout, il y a un pont évident entre la musique que produit Benoit Pioulard et le cinéma de Weerasethakul.
Le premier est le travail sur l’idée de mémoire, individuelle et collective. Benoit Pioulard explique ainsi que ce nouveau EP, qui marque son retour chez Morr Music, est né au moment où il a retrouvé de vieux albums photos qui ont réveillé en lui des moments auxquels il n’avait plus pensé depuis longtemps, évoquant ses parents, son frère auxquels renvoient les quatre titres de ce nouveau EP. (« Noyaux » ; « Ante » ; « Plainchant » ; « Remind ») et ouvrant vers une forme de nostalgie.
Dans tous ces films, et peut-être encore plus celui-ci, peut-être son plus accessible, Weerasethakul la mémoire est également au cœur de ses récits. Mémoire intime des personnages principaux et souvent de leurs fantômes mais aussi mémoire collective d’un pays en perpétuelle instabilité.
Ensuite, il y a une même manière très proche de faire jaillir l’émotion sur la durée, par le rêve, et par une forme de mélancolie que l’on pourrait croire statique, figée, ou purement contemplative. Or, dans les deux cas, c’est la dynamique qui anime les éléments qui la compose (guitares, boucles, effets, etc…pour Pioulard sur le titre éponyme de ce nouveau EP par exemple ; le cadrage, les lumières, les couleurs, le son pour Weerasethakul) qui fascine et rend les deux artistes pour moi si proches et si essentiels.
Enfin, dans « Cemetery of Splendour », dans une des scènes du cimetière, en plan de coupe, Weerasethakul insert des proverbes thaï en forme de commentaires de la conversation que les personnages ont ensemble.
L’un d’eux dit : « Le temps passé à ne rien faire est un temps sans fin ». Il en va de même pour le temps passé « dans » le cinéma du Thaïlandais ou avec ce nouveau EP de Benoit Pioulard dans les oreilles : on souhaite qu’il ne s’achève jamais.
liens :
(*) : pour aller plus loin sur le film, lire la critique de Cyril Beghin et l’interview du cinéaste dans le N°714 des Cahiers du Cinéma de septembre