J’ai mis du temps, mon cher Frank, j’ai mis du temps premièrement parce que j’en avais peu, parce que ce monde regorge de trucs cinglants que l’on fait passer avant, pas qu’ils soient mieux, ni pires, mais ils sont plus criards, sur le coup, après, souvent, ils s’engouffrent dans ce tas de disque dans l’espoir d’un revival dans un palmarès de fin d’année sur un web, un papier. J’ai mis du temps pour en arriver a toi (je te tutoies, ça fait un petit moment que je te suis sur des réseaux, ça donne de suite une idée d’amitié, de connaissance), j’ai pris le temps par respect, parce que si toi tu prends le temps de perfectionner ton travail, je vais pas arriver comme un cheveu sur la soupe et pondre un truc bâclé… j’ai savouré, mâchouillé, j’ai écouté certains matins de soleil, d’autres d’averses, des midis isolés, des repas de familles en fond sonore, des nuits sensuelles et des nuits d’alcools, j’ai pris le temps de toutes les probabilités, de toutes les possibilités, de tous les décors et tous les états d’âme. J’en ai presque oublié d’écrire sur ce disque, heureusement, on m’a rappelé que je n’avais pas l’éternité pour démontrer le pourquoi de mon plaisir, le pouvoir de ton travail. Après "Apart" en début d’année, j’avais gardé les yeux écarquillés et les feuilles éventrées, simplement, le travail m’avait accroché, j’y trouvais du bien être, du feeling, un disque qu’¡on aime poser de temps en temps sur les heures calmes de nos vies. Le seul problème, c’est qu’on voudrait que ces sonorités soient là pour des années, on reste alors sur sa faim, l’avarice sonore, la terrible avarice sonore, qui fait que les morceaux sont trop courts, et qu’on espère qu’avant de vieillir, ils auront des héritiers tout aussi intenses, et ainsi de suite, pour que le feu ne s’éteigne. Le fils est là, juste pour nos yeux (ouïes), je viens de prendre mon temps pour voir ses premiers pas et les décrire comme il se doit, du bout des sensations. Le talent du père, son plus ? J’ai souvent l’impression que Frank est un mécanicien, un investigateur, un destructeur, je m’explique, je crois en fait qu’a Frank, ce qui l’amuse, c’est de défaire, décomposer, détruire, faire le chemin a l’envers. Je crois qu’il a une idée de départ déjà très fermée, mais qu’il joue ensuite a dessiner des ébauches de ce tout, tourner en rond, tourner autour, jusqu’à en trouver l’esquisse première et les alentours immenses. Visuellement, imaginez vous une cité entière, avec ses hôpitaux, ses lacs, ses asiles de fous, le tout en lego et travaillé nuit et jour, détail a détail, bien, Frank arrive et désosse le tout, l’hôpital est finalement une pièce blanche, le lac un cube bleu et l’asile des fous… enfin, imaginez. C’est donc en arriver a l’expression parfaite du sujet, démonter un moteur pour en trouver l’essence (hé hé), atomiser un corps pour en trouver le noyau. Et ses chansons d’en ressortir plus intenses et personnelles, plus naturelles, bien qu’il soit clairement plus tourné vers l’artifice sonore, dans son travail de tournevis auditif, il arrive a la chair de l’électro. Frank n’est quand même pas un scientifique fou, nous ne parlons pas ici d’expérimental, et si cela l’est, c’est mué en titres agréables, reconnaissables, faciles d’écoutes, plaisants, rien de dissonant ni trop pro vocatif, même se titre "Kaos" a une mélodie bien accroché, pas d’éraflures, pas de rébellion, un travail intimiste, certes, mais pour les masses, et ce mix, ce smach- up entre Marquis de Sade (justement sur ce titre) pour l’expressif et Dépêche Mode pour le sonore est une réussite auditive parfaite. Le mariage entre le naturel et l’artificiel consumé, reste a décorer a notre grés ses œuvres, puisqu’elles laissent ouvertes bien des portes a l’imagination, loin de l’effet froid d’un Jarre qui n’anime que des foules de milliers, l’électro de Frank anime l’intime, le un, le numéro primitif tatoué sur chacun de nous, il pénètre aisément sous nos croutes de givre et réchauffe intensément les ouïes dormies. J’ai mis du temps donc, a me faufiler dans ses thèmes, a trouver les détails comme on cherche Wallie, a dénicher dans chaque sons un plaisir différent, une lueur ou une noirceur, suivant l’humeur, car ses musiques varient suivant nos états d’âme, et le disque peut changer du tout au tout, pour une larme ou un soleil, ce disque n’est fait que pour nos yeux, dit le titre, en effet, nous le verrons comme on en a envie, comme on le devine, comme on le voit, c’est ce qui nous maintiens éveillé jusqu’à son héritier, sa nouvelle création, sa renouvelée science, son si bon gout pour l’errance.