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Début des années 2000, la Toy Music a le vent en poupe en Europe, mais également aux US et au Japon. Dans le prolongement de la Glitch Music allemande des années 90, se développent Toytronica et Circuit Bending, apparaissent Game Boys bricolées ou Dictées Magiques trafiquées. La multiplication des home-studios permet une émulation musicale et les formations mélangeant rock classique et électronique pullulent, avec une certaine approche expérimentale liée à l’aléatoire des artéfacts électroniques du bending, tout en gardant un côté naïf et enfantin imposé par les sonorités propres aux jouets. Le duo Kawaii fait partie des activistes français du mouvement avec leur label Monster K7, ils sont même à l’origine du festival Music For Toys (et des indispensables compilations qui l’accompagnent) auquel ont participé nombre d’artistes plébiscités dans nos pages, tels que Kim, Carton Sonore, David Fenech, et bien sûr Chapi Chapo, qui est devenu en quelques années l’une des références internationales de la Toy Music.

Cela fait aujourd’hui presque vingt ans que Patrice collectionne les jouets musicaux importés et rapportés des quatre coins du monde. Forcément, ça donne envie de bidouiller un peu, et puis de s’enregistrer, de composer... et pourquoi pas faire des concerts avec, finalement ? Il suffit d’une bonne sonorisation, 2 ou 3 copains talentueux et ça peut marcher.

L’aventure Chapi Chapo commence donc ainsi, avec des jouets essentiellement acoustiques, comme en témoignent ses premiers albums. Assez rapidement, le breton se fait remarquer et multiplie alors projets, connexions et collaborations. Il élabore différents spectacles tels que Toutouing Lala (siestes musicales pour 0/2 ans) ou Popopolska (ciné-concert sur des films d’animation polonais des années 60) qui le font traverser l’Europe et l’amènent à tourner jusqu’en Chine ! Le prochain, Tilt, un voyage temporel dans la chambre d’un enfant des années 80 est prévu pour 2021.

TILT ! - Chapi Chapo et les petites musiques de pluie from L’Armada Productions on Vimeo.

En parallèle, il intègre le spectacle pour enfants Les Chansons Tombées de La Lune avec Arnaud Le Gouefflec, John Trap et l’illustrateur Laurent Richard. Complété depuis par Delgado Jones, le quintet s’apprête à sortir début 2021 leur 4° livre/CD intitulé Pirate Patate chez L’Eglise de la Petite Folie.

Toutes ces activités ne l’empêchent pas de continuer à sortir des albums qui s’éloignent de plus en plus de l’univers de l’enfance. Le tournant semble s’être produit au début des années 2010, Patrice s’intéressant de plus en plus aux jouets électriques et électroniques, et notamment aux vieux synthés un peu cheap. Cette tendance commence à se faire sentir dès 2013 avec Robotank-Z puis s’accentue en 2014 avec Chansons Robots, donnant un côté plus énergique aux compositions du breton. Robotank-Z, son 3° album brille déjà de la présence d’un certain nombre d’invités prestigieux tels que Jason Lytle de Grandaddy, mais aussi le talentueux et trop méconnu Carbonic, et l’indispensable G.W.SOK (ex. The Ex) avec qui Patrice a déjà collaboré.

Collector enfonce le clou. Composé à partir de 73 jouets musicaux anciens, acoustiques mais surtout électroniques, c’est l’album le plus rock et le moins ingénu de la discographie de Chapi Chapo. Cette tendance est majorée par les invités de marques qui lui prêtent leur voix, et qui sont pour la plupart originaires du monde du rock au sens large : l’australien Maxwell Farington (chanteur de l’intenable groupe Briochin Dewaere), la rennaise d’adoption Laetitia Sheriff (également bassiste de Trunks), l’imprévisible américain Jad Fair (ancien compagnon de route de Daniel Johnston, membre de Half Japanese), le génial Troy Von Balthazar (Chokebore) mais aussi les talentueuses Rachel Barreda Horwood (Trash Kit, Bamboo) et Emilie Quinquis (Tiny Feet, C’H avec le Chapi Chapo Orchestra), et bien sûr G.W.SOK avec qui il collabore pour la 4° fois. Mixé par le rennais Thomas Poli, l’album est paru sur le label Brestois Music From The Masses (Lesneu, Festin) et distribué par PIAS.

Enregistré à la maison dans les Monts d’Arrée, la méthode de composition suit toujours un même process. Patrice choisit quelques instruments puis improvise, enregistre piste après piste ce qui formera la base du nouveau morceau. Ainsi, ce sont les jouets qui, de par leurs sonorités et leurs possibilités souvent restreintes, donnent le ton, déterminent l’ambiance musicale. Une fois finalisés, certains instrumentaux sont proposés à des vocalistes, sans consigne spéciale, laissant libre champ à une réinterprétation du morceau qui prend à coup sûr une direction insoupçonnée.

Après l’insouciant et minimaliste When we Was OlderMaxwell Farington s’invente crooner pour poupées barbies, le punchy Let’s lorgne sévère vers les musiques de jeux vidéos 80’s. Plus sérieux, plus sombre, Nothing Stand Still m’évoque fortement le Special Case de Massive Attack, tant la mélodie des couplets de Laetitia Sheriff se rapproche étrangement de celle de Sinéad O’Connor, impression contrebalancée par un impromptu et lumineux refrain. Beaucoup plus fun, l’improbable It’s A Fate ne pouvait qu’être l’œuvre de l’inénarrable Jad Fair.

L’énergique instrumental Hot Lixx ferait l’idéale bande son d’un jeu de course automobile pour Amstrad CPC 6128, quand l’aérien The Hurdles avec Rachel Barreda Horwood nous entraine vers de brumeuses et lointaines contrées jusque-là inexplorées par le breton. G.W.SOK s’occupe quant à lui du déjanté No No No No No, efficace mais plus classique. Plus original et inspiré, Seller Keller est selon moi le morceau le plus intéressant de l’album. En effet Tiny Feet s’essaie avec succès au chant francophone et la structure du morceau lui laisse la liberté d’une implacable montée en puissance. Une indéniable réussite. L’album se conclut avec un Troy Von Balthazar méconnaissable. Loin des guitares saturées et torturées qui ont fait son succès dans les années 90, l’américain semble apaisé, planant sur des nappes de synthé, surfant sur des vagues d’un mélodica noyé dans la réverb.

Collector est un album original, imprévisible, passionnant et abouti. Il montre toutes les capacités de son interprète à tirer le meilleur du plus improbable des instruments, mais également son talent de compositeur, capable de faire un excellent morceau de trip-hop avec un synthé acheté 3€ sur un vide grenier.