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Un entretien sans grossièretés donc sans hashtag entre Bertrand Belin et Albertine Dalloway, juste après les balances et juste avant le concert de la tournée « Tambour Vision » à La Carène, Brest, le 23 février 2023.

ALBERTINE DALLOWAY (joue l’intro de « Carnaval » extrait du dernier album de B. Belin, sur son ordinateur portable) Avant que nous ne commencions l’interview, pouvez-vous me donner le nom de ce son, afin que je ne dise pas trop de bêtises ?

BERTRAND BELIN (très accommodant, repose la guitare dont il avait commencé à jouer) Ce que vous entendez là, c’est le son d’un synthétiseur de marque Roland qui date des années début 80 je pense et qui a un genre de son… Les synthés se donnent pour mission d’imiter d’abord des sons d’orchestre : les cordes, les cuivres, les bois donc enfin… Comme base de travail sur un synthé, les ingénieurs ont d’abord essayé de partager les sons en divers catalogues : il y a ce qu’on appelle les brass, enfin, ce sont des cuivres et ça, ça fait partie, oui je pense que ça fait partie d’un son de horns, quoi, les cors en fait. Les cors vus par un synthé, et après c’est joué d’une certaine façon. Ça ne sort pas du synthé, il faut le jouer.

ALBERTINE D. « Bertrand Belin, merci de nous recevoir pour un entretien juste avant votre concert à La Carène à Brest. Est-ce-que c’est la première date de votre tournée pour Tambour Vision, le dernier album ?

BERTRAND BELIN Non pas du tout non, non, ça doit être plutôt la quarantième, je crois, trente-cinq, quarante.

ALBERTINE D. Et comment se passe la tournée jusqu’à présent ? Est-ce que vous avez un bon accueil du public ; est-ce que vous aimez, vous, jouer cet album sur scène ?

BERTRAND BELIN Oui, oui. Oui pour les deux questions : oui on a un bon accueil du public. Après, si vous voulez, les gens rentrent chez eux, je ne reçois pas les commentaires de chacun et chacune, hein, ça leur appartient. Mais évidemment, ça se passe bien. Et… et oui, je suis content de jouer ce répertoire sur scène, cet album, oui bien sûr. J’y prends beaucoup de plaisir.

ALBERTINE D. Sur « Carnaval », un morceau de Tambour Vision, on reconnaît un instrument que vous utilisiez déjà sur « Vertical » - donc là on vient de discuter, c’est un synthé - sur un morceau paru sur l’album précédent, le morceau « Vertical ». Ce synthé, ce son, que vous venez de me décrire juste avant qu’on enregistre, c’est donc quelque chose qui pourrait s’apparenter à des cuivres, vous me disiez, quelque chose qui donc, rythme le morceau, et moi je reconnais souvent ça dans vos compositions, depuis longtemps, c’est-à-dire j’ai l’impression que vous êtes quelqu’un - peut-être que je me trompe - mais qui êtes très attiré par ce monde immense de la fanfare, de la parade, du petit fifre jusqu’au tambour, justement. Est-ce-que c’est quelque chose qui vous parle ? D’où ça vous vient ? Est ce que c’est très personnel et vague ? Ou est-ce-qu’au contraire vous pouvez me répondre précisément ? D’ou vous vient ce goût pour cet ensemble, cette grande famille de musiciens ? Ceux qui paradent ?

BERTRAND BELIN Eh bien, je ne sais pas, je découvre en même temps que vous que j’ai cette passion, parce que moi-même je ne le savais pas, mais c’est possible que ça nous échappe quelquefois à soi-même des choses comme ça. Oui, c’est possible, c’est un son… c’est comme un son de guitare en fin de compte, c’est des sons qu’on reconnaît plus ou moins parce que les musiciens - dont je fais partie - ont l’habitude de préférer un son plutôt qu’un autre, et les guitaristes ont un son, et quand on prend un instrument, on essaie de le tailler de façon à obtenir ce son qu’on aime, donc dans les précédents disques, pas seulement dans ce morceau-là, dans d’autres morceaux d’ailleurs il y a déjà des synthés, dès mon premier disque en fait il y a des synthés mais ils ne sont pas en aussi grand nombre, ils n’occupent pas la même place que sur le dernier. Mais c’est vrai que ça fait longtemps qu’on trafique ces instruments-là avec Thibaut Frisoni qui joue avec moi et qui a produit le disque avec moi. La fanfare ? Non je n’aime pas particulièrement la fanfare - ni je ne la déteste pas, hein, non - mais ce n’est pas une chose qui m’intéresse particulièrement comme musicien. J’ai déjà joué avec des fanfares, écrit des parties musicales qui ont été jouées par des ensembles de cuivres et par ce qu’on appelle un peu, des fanfares ouais. Mais non, moi ce que j’aime, oui j’aime bien les instruments dans leur variété, l’orchestre. Je suis plus attiré par l’orchestre symphonique si vous voulez. Enfin, « plus attiré », ce n’est pas le bon mot, mais disons que dans un ensemble complet où il y a les vents, les bois, je préfère en fait l’ensemble, en fait, j’aime bien sentir le mariage des timbres entre le pupitre des cordes et le pupitre des vents, les cuivres, les percussions. Et finalement quand c’est un seul ensemble à cordes ça m’intéresse moins ; quand c’est un seul ensemble de cuivres ça m’intéresse moins, mais quand tout ça - comment dire - commerce ensemble, eh bien là, ça commence à s’enrichir et ça me plaît.

ALBERTINE D. C’est ce qu’on ressent dans vos - pas forcément dans vos textes - mais sur les mélodies que vous composez : c’est l’idée d’un collectif, d’une harmonie en fait. C’est peut-être le mot « harmonie » que je recherchais, plutôt que « fanfare ». Et j’adore tous les sons de synthé, sur « Que dalle tout » notamment. Et puis vous écrivez bien : on aime vos textes. Vous prenez plein de risques aussi, ça doit être beaucoup de travail pour vous l’écriture. Mais que lisez-vous ? Vous êtes en tournée : est-ce-que c’est indiscret de vous demander ce que vous avez emmené avec vous dans votre valise, comme lecture ?

BERTRAND BELIN Comme lecture ? Eh bien ce n’est pas indiscret, vous voyez, il est sur la table, le livre, là (en effet, le livre est là, posé sous le smartphone et sur la table basse de la loge de B. Belin à La Carène) il y a un livre de Robert Pinget, qui s’appelle « Monsieur Songe » que je suis est train de lire. Mais sinon, la semaine dernière c’était Bulgakov, « Le maître et Marguerite ». Je lis le journal aussi, je lis des revues. Je lis tout ce qui me passe entre les mains, mais enfin, c’est le hasard, hein. Robert Pinget j’avais déjà lu des livres de lui il y a quelques années, et puis là je suis allé dans une librairie et il m’a été conseillé. « Monsieur Songe », je connais l’existence de ce livre depuis longtemps mais voilà, je l’avais pas ouvert et puis j’ai un bon souvenir de Robert Pinget, de « Graal Flibuste », un de ses livres assez ancien, des années 60, je crois, ça c’est un livre plus récent, de 82. Mais bon, oui j’aime bien lire dans les stations-service aussi, je m’empare des livres, je les ouvre, je lis deux-trois pages le temps de boire un café, je les repose. En fait, c’est une habitude de lire, c’est presque comme - je ne dis pas un vice, hein - mais il faut que je lise le matin sinon je ne me réveille pas quoi, donc je lis le journal ou je lis une publicité, n’importe quoi.

ALBERTINE D. Les mots font partie de votre quotidien. « Bronze » en 2019 c’est un morceau que je qualifierais de « très électro » même si c’est un terme que je n’aime pas beaucoup, que je trouve vague aussi, en revanche il annonce cet album-là, Tambour Vision, pour moi. Ça me rappelle le grand virage qu’avait pris PJ Harvey quand elle est passée de tout ce à quoi elle nous avait habitués à Is this desire. Je ne sais pas si vous vous souvenez ? C’était sa « tournée électro ». Et là j’ai l’impression que « Tambour » c’est un petit peu la même chose qui se passe dans votre carrière. Il y a quand même une sorte de virage qui a été pris : que pouvez-vous en dire ?

BERTRAND BELIN Eh bien, c’est-à-dire un virage ce n’est pas une bifurcation, hein, c’est un virage. Donc c’est la même route mais qui tourne quoi, c’est ça ? Donc là, oui je peux comprendre qu’il y ait une notion de virage, mais euh bon, je me suis pas mis tout à coup à faire de l’électro, hein, parce que qualifier mon disque d’ « électro » c’est abusé quand même, parce que ce sont des chansons.

ALBERTINE D. (très embarrassée, rougit à mort) Je sais, j’exagère.

BERTRAND BELIN Un virage ? Eh bien je ne sais pas trop moi, j’ai l’impression que c’est une continuité, que ça fait trois albums que les synthés gagnent de la place dans mes chansons, que là c’est plutôt… Ou alors ce sont trois disques qui font un virage, mais ne je trouve pas que ce soit un changement radical. Il ne me semble pas. Mais après, moi je ne suis pas à la meilleure place pour l’observer, hein, contrairement à l’idée qu’on peut se faire, je ne suis pas du tout au meilleur endroit pour comprendre ce que je fais. Mais de mon point de vue, c’est une trajectoire, qui était déjà un peu, qui s’annonçait déjà sur Persona et sur le précédent disque. Mais bon, après je me laisse guider par mon plaisir, mes envies, et puis il y a aussi… Je me laisse guider aussi par la collaboration avec Thibaut, avec Renaud Letang aussi avec qui j’ai fait cet album, enfin, qui a mixé ce disque. Donc ce sont des… oui, ça résulte un petit peu de… Ça provient de plusieurs cerveaux un peu, la production du disque. Moi j’orchestre, je suis le chef d’orchestre, je compose la plupart des chansons dont j’écris l’ensemble des textes. Mais Thibaut signe deux musiques sur cet album - Thibaut Frisoni - sur l’album Tambour Vision. Donc voilà, c’est ouvert, les fenêtres sont ouvertes. C’est mon septième album je pense que c’est un parcours, assez… finalement plutôt… Oui, peut être qu’il faudrait aller plus loin dans le virage pour faire une rupture radicale dans le genre. Encore que le coup de PJ Harvey, je ne me rappelle plus dans quelles proportions ça bifurque vraiment mais il y a des artistes qui font des bifurcations beaucoup plus angulaires que ça, moi je crois.

ALBERTINE D. C’est un virage en douceur, je suis assez d’accord avec vous. Je le ressentais aussi avec l’utilisation que vous faites de la batterie ou des percussions pour moi, ça m’a frappée. J’ai ré-écouté vos premiers albums. Et je trouvais ça hyper rigolo : au début la batterie est presque jazz en fait, il y a beaucoup de pinceaux, c’est assez discret, et c’est étonnant comme ça a a pu changer. On revient - alors c’est pas seulement le titre de « Tambour »- mais à quelque chose de très affirmé dans la batterie. Là aussi il y a aussi, eh bien, peut-être une maturation qui s’est faite ?

BERTRAND BELIN Maturation ? Vous voulez dire que j’arrive à l’âge de maturité en fait ?

ALBERTINE D. (pique un second fard) Non, pas du tout !

BERTRAND BELIN (compatissant) C’est possible, hein ! J’écoute beaucoup de jazz, plus que je n’en ai jamais écouté. Mais non, c’est pas ça. C’était il y a vingt ans déjà, si on parle du premier album. J’aime bien ce mot que vous avez employé : « pinceaux » c’est des « balais » dont vous parlez je suppose ? Mais « pinceaux » ça va très bien aussi, c’est très beau, c’est même… je trouve que c’est même plus juste que des « balais », quoi. Enfin, c’est plus joli de faire de la musique avec des « pinceaux » qu’avec des « balais ». Mais l’outil en question on l’appelle des « balais » habituellement. Les batteurs appellent ça comme ça. En tout cas je préfère « pinceaux ». Mais non, c’est-à-dire si on écoute bien mes premiers disques, y a pas de basse non plus. Enfin, « si on écoute bien », si on fait l’analyse musicale comme on est en train de le faire, en tout cas des instruments et tout, bon il n’y a pas de basse donc la batterie n’a pas du tout le même genre de rôle en fait. Et c’est que petit à petit je dirais que, si vous voulez, c’est comme un sportif : il y a trente ans on ne faisait pas le même nombre de secondes au soixante mètres, les gens sont devenus plus grands, plus musclés, ils courent plus vite. Il faut s’adapter. On est… On résulte un petit peu de l’environnement dans lequel on vit quand même, on n’est pas juste tout-puissant. Donc qu’il y ait une montée des décibels, de la pulsation rythmique, que ça s’affirme plus d’un point de vue de la dynamique sonore et ça, par rapport à mes premiers disques, ce n’est pas quelque chose que je souhaite, c’est quelque chose qui s’impose à moi, parce qu’il faut faire de plus en plus de bruit sinon personne ne vous entend, en gros, c’est ça. Mais après, ce bruit, il s’agit d’en faire quelque chose de gracieux et de beau, et d’essayer de se rapprocher de quelque chose qui nous plaît et c’est tout l’objectif et tout l’objet de notre vie à nous les musiciens et les musiciennes, c’est ça : c’est de négocier avec des idéaux, des formes qu’on recherche, qu’on cherche à obtenir, une forme d’idéal dans ce qu’on entend, et en même temps, à aller vers les autres donc, de façon à partager, de façon à faire des tournées. Et c’est une cuisine qui doit se faire un peu de cette façon-là je dirais.

ALBERTINE D. (interrompue par la porte qui s’ouvre sur quelqu’un de souriant : ça y est, on a dépassé les quinze minutes accordées pour enregistrer l’interview)

C’est ce qu’on ressent, c’est-à-dire qu’il y a une espèce de « naturel » dans votre manière de travailler, qui fait qu’on atteint aujourd’hui, à une sorte - moi, en tant que public - à une sorte d’essence en fait, d’essence de votre art, de votre écriture musicale notamment. Qu’en est-il de la voix ? Si je me souviens bien, vous n’êtes pas quelqu’un de très susceptible… Est-ce-que vous permettez que je vous dise qu’on a l’impression qu’aujourd’hui dans votre chant, vous faites très peu d’efforts ? Alors ce n’est qu’une impression, mais le chant est beaucoup plus maniéré au début. J’entends sur « Porto », c’était en 2005 - ou peut être que vous avez écrit cette chanson avant - le chant était un peu plus recherché, il manquait peut-être un peu de naturel. En tout cas moi ça me plaisait beaucoup déjà, mais aujourd’hui c’est très différent, on a l’impression que ce n’est qu’un souffle que vous posez sur les mélodies ? Est-ce quelque chose qui est conscient chez vous, ou qui a peut-être été suggéré par votre entourage, ou qui a été travaillé, ou bien qui est venu naturellement ? Que pouvez-vous nous en dire ?

BERTRAND BELIN Difficile, hein. Je ne sais pas, j’ai toujours chanté comme j’avais envie en fait. Il y a vingt ans quand j’ai chanté « Porto » pour moi, c’était… En fait, il y a une chose, selon moi, la sophistication dont vous parlez elle est aussi dans l’écriture, elle n’est pas seulement dans la façon de chanter. Il y a - sur mon premier disque - il y a des chansons qui appartiennent un peu au tonneau de la chanson un peu « bien ourlée », cadencée, avec une versification, des pieds, une rime riche, des astuces de langage un peu scintillantes et qui sont un peu coquettes même. Donc le chant, plus cette dimension-là du texte, l’ensemble peut faire un peu plus artificiel. Artificiel ou en tout cas, comment dire… appartenir à une tradition, quoi. Enfin moi, je trouve que c’est plus ça en fait. Je trouve que ces chansons-là comme « Porto », « Barcelone », tout mon premier disque, elles appartiennent à une tradition de la chanson bien ourlée et voilà. Bon après, moi mon modèle de chant quand j’ai fait mon premier disque c’est… moi quand j’entends « Porto » je chante exactement comme ma mère en fait. Ma mère chantait comme ça, avec une voix plus aiguë, et donc moi quand je chante aigu j’ai la même voix que ma mère en fait. Donc j’ai spontanément chanté comme ça sur mon premier disque sans réfléchir. Ça résultait pas du tout d’un pari ou d’un parti pris esthétique ou quoi, c’était, au contraire, très naturel. Je pense que la façon dont je chante aujourd’hui est toute aussi, si vous voulez, m’est toute aussi proche, je pense que ça me convient. Je le fais parce que j’ai envie de le faire comme ça, personne m’a jamais dit « tu devrais chanter moins aigu » non, dans mon entourage, il n’y a pas de, je n’ai pas entendu dire ça, enfin, il y a des gens qui peuvent préférer l’une ou l’autre façon, mais ça, ça leur appartient.

ALBERTINE D. Il n’ y a aucun calcul ?

BERTRAND BELIN Ben non ! Calcul pour obtenir quoi ? Calcul… C’est pas des Maths hein. C’est… qu’est-ce-que j’obtiendrais en faisant des calculs, je sais pas ? Je ne sais pas du tout. Moi je suis guidé par le plaisir de chanter. Chanter, c’est un vrai plaisir, aussi. Aujourd’hui quand je reprends des - quand je chante chez moi - quand je reprends des standards de jazz ou quoi, je reprends cette voix aiguë-là, j’aime bien chanter avec la voix aiguë aussi mais par rapport à ce que je dis, moi je pense qu’il y a une adéquation naturelle entre le propos et la forme, en fait. Et que chaque chose dite a besoin de trouver sa voix, ou son son, ou sa façon. Et je ne me vois pas chanter « Porto » avec la voix d’aujourd’hui. Ni ces mots-là, d’ailleurs, c’est des mots qui me… ça ne m’intéresse pas, ça ne me correspond pas. À l’époque ça me correspondait et ça m’intéressait. Et après la chanson existe, il peut m’arriver de la re-chanter, je pourrais même vous la re-chanter (se saisit de sa guitare posée là), je l’ai chantée tellement de fois que je sais encore la jouer et la chanter même si ça fait des années que je ne l’ai pas fait mais… Si je la chante, eh bien je la chanterai comme je la chantais à l’époque. Et c’est une voix, c’est, je ne sais pas… c’est une voix, il n’y a pas de calcul, non. Vous croyez que les chanteurs et les chanteuses ont des calculs comme ça ? Je ne crois pas, moi.

ALBERTINE D. Non moi je pense que vous êtes quelqu’un de très authentique, ça s’entend sur vos albums, et sincèrement je pense qu’en fait c’est assez extraordinaire que vous ayez cette carrière avec autant de sincérité. Parce qu’en fait c’est assez rare aujourd’hui. Je pense à des artistes que j’admire comme Gérard Manset, comme Jean-Louis Murat, des gens qui font exactement ce qu’ils veulent et comme ils le veulent. Et je me dis quelle chance on a nous, public, d’avoir des artistes en face de nous qui sont hyper sincères, oui, hyper sincères.

BERTRAND BELIN Il y a des - je ne sais pas - je pense que la sincérité c’est une chose qui se retrouve un peu… Je suis sûr que si on demande à n’importe quel chanteur aujourd’hui, c’est tellement une - comment dire - une qualité recherchée la « sincérité », par, y compris, enfin, c’est un argument de vente comme un autre, la sincérité, donc tout le monde se réclamera d’une certaine sincérité, hein. C’est ce que je suis en train de faire. D’ailleurs non, je ne le fais pas, c’est vous qui le dites, mais en tout cas que je chante comme j’ai envie ça c’est vrai. Mais je pense que si on demandait à n’importe quelle chanteuse ou chanteur qui a un répertoire qui nous plaît moins, hein, par exemple, quelqu’un qui passe dans les grandes radios généralistes et qui a beaucoup de succès et tout, en fait je suis sûr qu’il nous dirait qu’il chante comme il aime chanter, comme il en a envie. Je suis convaincu de ça. Je suis convaincu que Patrick Fiori chante comme il en a envie, que personne ne lui dit « tu devrais chanter comme ci ou comme ça ». Je pense que c’est vrai pour Jennyfer, vous voyez ?

ALBERTINE D. Moi je pense que les disques ne trichent pas, que les chansons ne trichent pas, et que la poésie ne triche pas, de toutes façons. Donc il est impossible de tricher avec un public, quel qu’il soit. Ça dépend peut-être de l’âge du public, mais, à mon sens…

BERTRAND BELIN Ah mais avec nous, avec nous en tout cas, c’est difficile de tricher, comme vous dites, nous on le voit tout de suite peut-être. Mais pour d’autres, enfin c’est compliqué, parce que les gens qui vont voir leur idole en concert sont tellement comblés, qu’il faut leur laisser cette possibilité d’être comblés en dépit du fait que nous, nous jugeons les artistes qui sont sur scène comme des, un petit peu, des gens qui manipulent un peu leur public, vous voyez c’est… je ne sais pas… c’est compliqué. Avec l’industrie, le show-business, il y a différents niveaux, il y a différentes stratégies, c’est vrai qu’il y a de la stratégie, il y a l’auto-promotion, la publicité, les… Enfin, c’est compliqué quand même. De toute façon c’est compliqué à analyser le rapport d’un individu à un groupe, en fait. Parce qu’entre un artiste, une artiste et les 700 000 personnes qui achètent ses disques ou qui vont le voir au Stade de France c’est compliqué de savoir ce qui s’établit comme rapport. C’est quoi là, c’est christique ? C’est quoi ? On trouve ça dans la politique aussi, cette fascination pour un corps, une parole, un charisme, ce qu’on appelle le « charisme » qui aujourd’hui est si monnayé en politique. Maintenant il n’y a pas une élection présidentielle sans qu’on ne parle de l’absence ou de la présence de « charisme » en dose assez suffisante pour l’emporter, vous voyez ? C’est des discours dont la musique aussi s’empare. Donc le point commun entre ce rapport de l’individu, de l’élu, de l’élection, « il est élu meilleure chanteuse, meilleur chanteur » ça pose des milliards de questions en fait, et moi je n’ai pas les réponses. Simplement moi je suis tellement peut-être exagérément conscient de ça et du coup, tout ce qui pourrait avoir l’air d’être une séduction en-dehors de la musique, j’y suis épidermique, ça me donne des plaques rouges.

ALBERTINE D. Je veux bien vous croire. Moi je suis pour le mystère, je suis contre la résolution des mystères et des secrets, je n’aime pas les réponses.

BERTRAND BELIN Je suis désolé de vous en donner quelques-unes.

ALBERTINE D. Non, vous êtes bien obligé. En fait je suis hyper contente ce soir de voir en concert la personne qui a écrit « Hypernuit ». Alors je vous ne le cache pas, il m’est bien égal de savoir d’où vient ce texte et d’où vient la personne qui a écrit « Hypernuit » mais moi c’est une chanson qui m’a absolument bouleversée. C’était en 2010 ou 2011, et en fait je la savoure tellement je la trouve extraordinaire. Voilà, c’est un texte fabuleux, il fallait que je vous le dise. Et je l’écoute le moins possible pour la savourer le plus longtemps possible.

BERTRAND BELIN Je ne sais pas quoi vous dire parce que là vous ne me posez pas de question.

ALBERTINE D. Eh bien ne dites rien, de toutes façons ça ne vous regarde pas, c’est entre la chanson et moi ! Merci beaucoup Bertrand Belin.

BERTRAND BELIN Merci, au revoir. »

Retranscription de l’enregistrement sonore : Albertine Dalloway Merci à Bertrand Belin, à La Carène, à Mathilde Vigouroux ; merci à Virginie Pargny.

photo copyright (c) Edgar Berg

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