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A l’image de ces artistes essentiels, au succès critique constant et à l’audience certes réduite mais fidèle, qui passent sous les radars (Matthieu Malon, Rémi Parson, Gontard, etc.), Xavier Plumas trace en toute discrétion son bonhomme de chemin, nonobstant la notoriété underground qu’il a pu atteindre grâce au groupe Tue-Loup, dont il est le chanteur et le guitariste.

La Bancale, publié en 1998, à une époque où les cartes de la chanson française étaient rebattues (on pouvait, et on savait désormais, depuis Dominique A., Miossec et Diabologum, sans honte ni retenue, user en pop, folk et rock de la langue de Calaferte), avait placé le groupe sarthois au centre d’une dynamique florissante, boostée par la presse et les radios d’antan, avant que tout ne glisse inexorablement vers le mainstream.

Voir triompher aux Vieilles Charrues, devant un aréopage de demeurés, une Aya Nakamura, était auparavant inenvisageable, parce que jamais, O grand jamais, le provincial ne s’enthousiasmait pour de la soupe karaoké, qui était l’apanage de Britney Spears, Ozone et autres Alizée. Le bouseux en pantacourt motif militaire à tatouage tribal et piercing de coiffeuse du Loir-et-Cher kiffait Noir Désir, Manu Chao et Jamiroquai, il avait des goûts discutables mais la musique restait organique, jouée par des humains, le son claquait la gueule et, sur scène, les types mouillaient le maillot.

On dirait qu’aujourd’hui l’intérêt pour la musique jouée à la main s’est perdu : je me souviens d’un concert de Labradford à la fin des 90s, deux types maigres assis sur des chaises devant leurs ordinateurs portables – c’était chouette, mais tant qu’à faire, autant rester chez soi, éviter de bien vaines conversations, passer un disque et ne jamais faire la queue au bar ou devant la porte des toilettes (miracle de la solitude alcoolisée).

Fin 2010s, à Petit Bain, Xavier Plumas brûlait seul sur scène avec sa guitare folk, devant un public venu écouter des nanas à frange collées à leurs samplers et autres claviers aux sons d’usine pré-programmés, ça m’a rendu un peu triste : l’artisanat et les doigts qui brûlent à force de racler les cordes de guitare disparaissent, au profit d’informaticiens collés à leurs laptop, banques de sons aseptisés à l’appui.

Presque fin de l’aparté : j’habite à Paris au-dessus d’un studio d’enregistrement, et quand je clope sur mon balcon, une bière à la main, satisfait d’avoir écrit une énième chronique géniale, parfois j’entends (bien malgré moi) des conversations pontifiantes et ça ne parle de musique qu’en terme de fréquences audio et autres considérations purement techniques : souvent j’ai envie d’intervenir et de leur dire d’aller se faire foutre. Et de temps à autre, j’aperçois Perio, guitare en bandoulière, le pas pressé, qui se dirige vers ce fameux studio en sous-sol. Mentalement, je lui souhaite bon courage, lui qui vient des années Lithium, label hautement appréciable que j’évoque sans plus, parce que chez ADA le lecteur avisé connaît sur ses doigts son Lagarde et Michel Cloup underground).

Toute rage civilisationnelle bue à grande goulée, il est temps de se pencher sur Rose-amère, le quatrième album solo de Xavier Plumas, dont la voix blanche et lancinante hante les onze titres, accompagné au chant par Astrid Veigne, qui apporte un contrepoint souple aux constats poétiques d’un compositeur au registre toujours flexible, en témoigne un Sous un ciel bleu pop ligne claire à souhait, comme si Belle and Sebastien sévissait en nos contrées.

Les arrangements et la production sont aérés au possible, limpides, évidents, jamais bavards, les accords passent du majeur au mineur en un glissement de doigts, tout est fluide, comme sur L’ivresse et le danger, early Claude Lelouch dans cette douceur humanisto-futile qui caractérise le réalisateur.

Aucune trace d’amertume sur Rose-amère : c’est un artiste apaisé qui s’adresse à nous, capable de sortir du cadre pop folk qu’il affectionne – l’instrumental jazzy barré Volana ou l’introduction de Frais comme la langue. Les textes naturalistes rappellent ceux de Verone, entre poésie et auto-diagnostic de santé mentale sur le fil du rasoir : la difficulté d’exister nous concerne tous, pas besoin de s’appeler Walt Whitman.

Telle est la problématique de L’ombre bleue : qui est qui, lorsque nous nous fondons dans l’autre ?

Tant qu’à parler de poésie, le morceau conclusif (The Tyger) est tiré d’un texte de William Blake. Et moi, pris d’envie de citer Dylan Thomas, qui œuvra presque deux siècles plus tard, à l’écoute de Rose-amère, je rapporte, « N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit », parce qu’avec Xavier Plumas, la nuance est au rendez-vous, entre chien et loup, loup toujours en vie, loup assuré de sa force de loup apaisé, beau loup à visage humain, que personne ne fera taire et qui toujours chantera ses chansons de loup.

Dans cet univers épris d’un présent insignifiant, les chansons de Xavier Plumas perdurent, contre la facilité de l’époque mais aussi l’âpreté de l’existence, le tout énoncé avec une délicatesse miraculeuse : si Rose-amère il y a, dans ce si délicat jardin, nulle pique nulle ronce, hormis le temps, qui arase et passe en cri, un long cri intérieur que personne n’entend vraiment, à l’instar de cette chronique décousue, rédigée en l’honneur d’un artiste et de son œuvre estimable qui méritent fortement d’être écoutés.




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