> Critiques > Labellisés



Sorti tel un magnifique tour de farce le jour du poisson sur le label avignonnais Unknown Pleasures Records, ce cru 2023 d’un des duos les plus originaux d’EBM de l’Hexagone est, je confirme, et dans la lignée de ce qu’avait écrit Will Dum pour les confrères de Muzzart, un joyeux album de parias électro, démence garantie à chaque tournant (en langue vernaculaire, s’il vous plaît) le tout emballé dans un attrayant visuel figuratif à trois volets du peintre américain Elliott Wall. Et après six mois de découvertes et redécouvertes de ce disque (en CD importé pour ma part), je persiste à penser que ce dernier opus ne m’a pas encore dévoilé tous ses arômes, saveurs et mystères... A l’instar de l’écrivain Jean Genet qui n’avait pas plus le pouvoir que l’envie d’échanger avec son public et dont son œuvre a le sens d’une négation pour ceux voulant bien s’y piquer, Maman Küsters continue de repousser les frontières du non-conformisme, sans même jamais vouloir (se) forcer. A coup sûr, tout ce petit chaos en ébullition émane le plus naturellement du monde, comme de la cervelle d’un délicieux génie venu vous chatouiller là où vous voulez, tant que ça fait du bien, voire un peu mal.

« On est où d’abord ? »

Cette question plante d’entrée de jeu l’ambiance dans « Lune Froide » avec en invité de marque, Yan Kouton, écrivain et musicien de Paname, originaire lui aussi de Brest, le cœur à coup sûr penché vers les rues mal éclairées de Recouvrance. Porté par son texte cinétique autant schizo qu’inquiétant, le beat est claquant, froid, hypnotique avec la danse en prime. Est-on dans une hallu lynchienne ou dans un délire de Cronenberg, type « The Fly » ? Un sentiment d’être en tout cas joyeusement désorienté vers les trois heures trente-six du matin. Parce qu’à la fin, ça a l’air tellement grave qu’il vaut mieux peut-être en rire ? « J’ai changé de force on va dire / j’ai planté… », nous balance-t-il, façon uppercut en pleine poire. Bref, on comprend vite qu’il y aura de la gîte du côté de la rade.

Vidéo de Träumen Androiden

Cyril Pansal, lyriciste et génie de l’ellipse prend ensuite le relai sur « Contrôle du corps absolu » entre clins d’œil à DAF et Autechre pour la musique et « Chappie » de Neill Blomkamp pour le cinoche. Dans cette ambiance d’univers SF virtuel qui rappelle aussi le « Scarlett et Novak » de Damasio, les paroles nous interpellent telles des commandes vocales, le répétitif « ma machine » s’accordant à tout-va dans ce rythme à la fois élastique et syncopé. Nous voici à peine sauvés des bugs de l’IA et prothèses affolées qu’un E.T. plaintif s’écrase sur notre planète dans « L’OVNI please love me », constatant dans un ultime cri d’amour les dégâts irréversibles depuis sa dernière venue : «  Qu’est-ce qu’il fait chaud, comme dans une jungle ». Chaque mot et beat sonore jutent comme d’un gros fruit fermement compressé dans la moiteur inhospitalière du lieu (on hésitera entre forêt amazonienne marécageuse ou soirée infernale au bar des sports du coin après une nouvelle victoire du Stade Brestois). Au cas où des aliens pas trop bêtas passeraient au-dessus des Gaules de temps à autre, ça devrait leur donner une base de réflexion intéressante sur notre degré d’empathie à l’ère de l’anthropocène, autant que sur notre évolution musicale depuis le « Love me, please love me » de Michel Polnareff ou le hit de 1978 « Tout petit la planète » par Plastic Bertrand. A défaut de petits gris, crash sonore, environnemental et sociétal en ligne de mire assurément.

L’album nous délivre son met le plus délicat sur « Happy Meal » avec pour ingrédients ses sons rythmiques envoûtants et électrifiants qui rappellent la précision clinique de Kraftwerk de l’époque « Trans Europe Express », mariant pulsions mécaniques à des voix aujourd’hui plus organiques qu’artificielles. Pour preuve, la voix de Charlie Perillat (Tentative) passe tel un mirage poétique dans une gare déserte de bolides automatisés : « Dans le futur, il y aura plus de passages que de gens qui les prennent ». Ambiances grands espaces urbains et solitudes immenses sorties d’un « Metropolis » au format IMAX ; il y a clairement un côté néo-expressioniste profond autant qu’angoissant dans cette architecture musicale rétro-futuriste du musicien Gaël Loison. Cyril Pansal de son côté signe là l’un de ses plus beaux textes ‘dark’ qui pourra évoquer le travail en pochoir de Bansky (je pense notamment à l’iconique « Napalm ») : « Happy Meal, coincé près de la porte, l’impression d’être puni. »

Ambiances charnelles, exotiques et bondage dadaïste au programme qui nous ramènent à l’époque de « Sous la Peau de Maman Küsters » (2016), le texte délirant de « Marie si contraire » nous remet en selle comme sur un cheval à bascule hennissant un air de Kraut rock endiablé. « Les mots, on leur accorde trop d’importance… » Ouf, on est presque rassuré sur la santé mentale et du degré de dérision des MK, du moins jusqu’à la prochaine incartade, car dans cet exercise d’équilibre délicat entre humour noir et morbidité affichée, « Psychokiller » avec sa méchante odeur de snuff vintage décroche certainement le pompon. Si le groupe voulait faire peur aux fans de Taylor Swift, c’est réussi. Peut-être n’est-il pas encore trop tard pour revenir au morceau d’avant et se mettre à l’abri, le temps que ça se calme là-haut avec « Le Trappeur a très peur » ? Réflexion faite, ce qui peut s’apparenter à un fier rejeton de Napoléon XIV de par son humour décalé et déglinguerie psychotique, pourrait certainement aussi bien agrémenter une bande musicale pour conte kafkaïen dans cette ambiance claustrophobique de quasi fin du monde. Un morceau à interdire sur toutes les lignes de front ici-bas, au risque que tout ce beau monde commence à s’entretuer de chaque côté. « Les Termes définitifs » nous laissent un beau bleu à l’âme, et aurait pu permettre un atterrissage en douceur à la manière de « Goût (Soda Cerise) » de l’album « Cherche Querelle » (2019), mais c’est finalement le surprenant « Pomme-pomme girl » en duo avec Marco Numan qui finira la besogne dans une verve décomplexée digne des meilleures lignes de matchs de Slam de la troisième mi-temps, recette de la tarte Tatin en poche. Et c’est pas tout, car il nous reste les chouettes remixes en pagaille de la fin du LP ! « Happy Meal » ouvre l’after de ce bal ambient noise electro, repensé en des nappes synthé de l’ère analogique (« An ElectroGenetic remix ») par le légendaire producteur Gareth Jones (Depeche Mode, Einstürzende Neubauten, Erasure, Wire). S’en suivent les remixes de « Les Termes définitifs » (nappes synthé accentuées et voix joliment remaniée par HIV+), « Le Trappeur a très peur » (hypno remix par Marc Caro venu amplifier la claustrophobie ambiante chère à ses univers fantasmagoriques), « Marie si contraire » (remix ambient tribal et trippant par François Joncour), le tout se finissant dans une joyeuse parade euro rave de l’autre côté de la galaxie avec « Träumen Androiden » (« Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? », auf Deutch, bitte !) que l’on avait déjà découvert sur le LP « L’Extase et la Terreur » (2020), remixé ici d’une main de maestro par Insider (a.k.a Kris Vanderheyden). Terre brûlée, lune glacée, trous noirs et créatures de l’espèce mal identifiées, bienvenue dans « Le Petit Chaos de Maman Küsters » !




 autres albums


aucune chronique du même artiste.

 interviews


aucune interview pour cet artiste.

 spéciales


aucune spéciale pour cet artiste.