Chez ADA, on avait beaucoup aimé Shoden, le premier album de Cécile Seraud, publié en octobre 2020 : « Un disque à la sensibilité désarmante, beau comme la ligne d’horizon de l’océan, césure entre le ciel et l’eau (...) ». La pianiste lorientaise nous revient en cet automne hasardeux, cette pluie, O cette pluie, toute cette pluie, avec un nouvel opus, enregistré par Sylvain Texier (Ô Lake) et infusé de références, cinématographiques ou littéraires – en témoignent les titres de compositions telles que La Part des Anges et La Possibilité d’une Île – ou basées sur des captations sonores de la NASA (la suite Errance Cosmique). Si Shoden évoquait le soin, et à travers le soin, l’attention à l’autre, XAOS fait référence au renversement, au désordre, au chaos (χάος) mais également – car dans l’Antiquité la notion d’équilibre était primordiale, à l’image de divinités certes puissantes mais bourrées de défauts, et en ce sens proches des vivants – le renouveau. Le piano est un instrument si riche en possibilités qu’il offre à celui qui s’y aventure un terrain de jeu aussi vaste que le monde, et nul besoin d’une virtuosité à la Frédéric Chopin. Dans mon salon parisien, le soir, il m’arrive de laisser glisser mes doigts sur le clavier, à chaque fois un monde se crée : de Erik Satie à Enrique Granados, en passant par le John Cale des films de Philippe Garrel, les harmonies simples et belles racontent en nos imaginaires happés des histoires simples et belles, à base de volutes épurées, de réverbération, d’arpèges soigneux, joués du bout des doigts. Si Cécile Seraud excelle dans ce registre, elle n’en oublie pas pour autant l’autre magistral instrument à cordes pincées qu’est la guitare, comme sur ce Sky Walker hanté par des vocalises de toute beauté, une légère distorsion pointilliste et un violoncelle discret (Howard Shore ?). Dans les grincements de l’ouverture de La Possibilité d’une Île, on retrouve le field recording cher au Yann Tiersen des débuts ; la suite sera magistrale, consomption longue de huit minutes, de l’exaltation à la réflexion puis au reflet, il n’y a qu’un pas, un pas posé sur le creux de nos questionnements, qui font de nous nos propres doppelgängers. Quatorze pièces envoûtantes, exécutées sur le fil du rasoir, accompagnent à merveille le fameux tunnel, entre pluie et obscurité, nuits hâtives et solitude plombante, le tunnel émotionnel de novembre, le mois du moins, du moins que rien : Cécile Seraud sera pour vous cette lumière mélancolique et rassérénante – On dit que tu fais danser les étoiles : la compositrice bretonne, sens de la concision et de l’harmonie à l’appui, fait chavirer les cœurs. Avant le conclusif Errance Cosmique III, la Morbihannaise place un Je t’aime qui résonne en nos oreilles et nos cœurs et nous rappelle que le chaos est avant toute chose le point de départ d’une infinité de lendemains, loin de l’emprisonnement affectif tel qu’édicté par la doxa sentimentaliste héritée du Moyen-Âge. Réflexive, riche d’influences et savamment interprétée, XAOS est une œuvre hautement recommandable, qui se écoute après écoute se dévoile et fera sans nul doute florès.