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Lorsqu’il s’agit d’écrire sur le mainstream, souvent le chroniqueur underground se montre binaire : soit il se lance dans une inattendue dithyrambe, qui fera office de pied de nez adressé à son propre écosystème, soit il mordille en grimaçant et grimace en mordillant, à coups de sentences impavides et autres facéties caustiques. Dans les deux cas, l’on soupçonnera le chroniqueur de vouloir briller à peu de frais – on aura certainement raison. Snob qui peut. Tombant moi-même régulièrement dans le panneau, en témoigne ma récente et décousue review sur le dernier album de cette chère Taylor Swift, d’emblée je décide d’éluder le versant socio-économique du nouvel et troisième album de Billie Eilish, dont par ailleurs nous évoquâmes en ces pages l’assez peu consistant EP Guitar Songs, publié en 2022. Par contre, impossible de faire fi de l’enthousiasme transgénérationnel provoqué par Hit Me Hard and Soft, qui voit – c’est rare, donc je le souligne – la désabusée génération X (hit me hard) communier au sein de la même chapelle avec les si sensibles milléniaux (hit me soft) et leur progéniture HPI. Billie Eilish et son producteur de frère Finneas O’Connell auraient-ils composé le crossover ultime ? L’élégant Skinny ouvre le bal : ballade jazzy portée par des guitares arpégées et de bien mielleuses cordes, ce morceau inaugural prend son temps, offrant au chant suave de Billie un écrin ouaté, dont la joliesse n’exclut pas un certain ennui, que seul dissipera Lunch, boîte à rythmes minimaliste et basse groovy en avant, qui rappellera The Cardigans, Feist et autres Micky Green – efficace, mais anecdotique, ça manque de conviction. Plus loin, lorgnant sur les terres d’une Grimes privée de venin, l’ultra cheap Chihiro nous replonge dans la mauvaise dance RnB des 00s mais sur la fin – de justesse – se sauve grâce à un arpégiateur synthétique tout bête et néanmoins efficace. C’est là que je me rends compte que dix chansons, ça va être long. La sirupeuse mélodie de Birds Of A Feather est immonde (du mauvais Madonna), le lyrisme de The Greatest paraît complètement hors-sol (non, Billie n’est pas une diva), tandis que L’Amour De Ma Vie est salopé par une conclusion électro vocodéisée abominable, que l’on croirait captée au club Boui-Boui (Marseille, Vladivostok, même combat). Certes, The Diner sauve les meubles – l’on y retrouve les marqueurs eilishiens, tels que canonisés sur Bad Guy – mais c’est largement insuffisant pour retenir l’attention, d’autant plus que la production formatée ne propose rien d’autre que des sons d’usine mille fois entendus ailleurs. En définitive, au vu du caractère anecdotique des ritournelles de Billie Eilish, difficile de s’épargner un regard pseudo-sociologique : une grande partie de sa réussite (et il en va de même pour Taylor Swift, Beyoncé, Lady Gaga et les autres) semble tautologique, ne reposant non pas sur l’œuvre en elle-même (je le répète, il n’y a pas de chansons dignes de ce nom) mais sur la curiosité qu’engendre le succès, couplée à la crainte de passer à côté de quelque chose de génial / mémorable / historique (ce qui est rarement le cas), et même d’émettre une critique négative – Hit Me Hard and Soft a mis les médias au pas. Une fois encore, le phénomène de société – argument marketing massue – relègue la musique à l’arrière-plan d’un narratif destiné à vous en mettre plein les yeux, mais laissant vos oreilles orphelines, dommage.




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