La traditionnelle fournée estivale des disques chroniqués (parfois très) en retard se poursuit, avec cette fois le troisième album du parisien Sylvain Fesson, épris de poésie et fin observateur des aléas de la vie, un complexe Origami dont chacun des neufs titres ont été mis en scène et en ligne sur Youtube - il y a donc autant à voir qu’à entendre, ressentir et analyser. « Je pense qu’il ne faut pas laisser la musique aux musiciens ! Enfin pas les chansons ! » Étrange et malicieuse réflexion énoncée dans un interview donné au webzine Lust For Live, mais que Sylvain applique à la lettre, changeant régulièrement de musiciens pour tirer le meilleur parti de collaborations toujours aventureuses. Sur Origami, publié l’année dernière, c’est le multi-instrumentiste Vivien Pézerat (Holocene) qui s’y colle, tandis que Célinn Wadier (harmonies vocales) et Elnour Zidour (guitare) lui prêtent main forte, se mettant au service de textes au verbe riche, cliniques, lucides et néanmoins teintés de dérision. L’on y croise le fantôme d’Amy Winehouse – sample spectral sur la cinématographique ballade trip hop Amy – tout autant que des djinns ondoyants nourris d’afro-jazz, bourdonnant jusqu’à la dissonance sur Parfois, où le mot se fait mantra, spoken word maudit aux volutes harmoniques vénéneuses. Du catchy dépressif Ciel de Shoah – magnifié par les chœurs féminins, entraînant malgré un sujet casse-gueule, toute guerre trouvant son équivalent dans l’intime – au rock prog enlevé, épileptique et ondoyant, teinté de shoegaze et d’une densité ornementale rappelant The Joshua Tree, de Center Parcs (mini tube qui dans les 90s aurait aisément concurrencé Les Innocents), en passant par le volontairement monotone morceau titre – Origami –, lente mélopée orientalisante aux sonorités vaporeuses traversées par un saxophone en roue libre, Sylvain Fesson se fait le guide d’un singulier voyage, entre musique populaire expérimentale et pas de côté narratif, se mettant en scène tel un Jarvis Cocker sans frime ni sens du superfétatoire. Notre homme sait jouer avec les différentes versions de lui-même, comme s’il s’agissait de se fuir pour mieux se penser. Ainsi Caprice des Dieux, taquine bedroom pop, ainsi L’Amour au Soleil, spoken word au bord de la plage, lyrique comme du Arcade Fire, ainsi Sentima, lente, patiente, mots collés au clavier, déclinaison lumineuse et jazzy, abandon de soi et sollicitude des fins, les petites fins, mots et claps de fins, bye. Peut-être un clin d’œil à Hart Crane ? Pour le conclusif et poignant Sakin, on laissera la parole à Vivien Pézerat, interviewé par ce cher Yan Kouton : « Si on arrive à dépasser une certaine forme d’ennui initial, on peut entrer dans une sphère où la beauté jaillit, immaculée ». En effet, sur cet Origami bricolé et néanmoins ambitieux au possible, pas d’ennui, tant tout y est au minimum surprenant, au maximum enrichissant.