Le soleil ne brille-t’il pas aujourd’hui ? Issu d’une famille persuadée que l’apprentissage de l’allemand et du latin offrirait les meilleures perspectives à l’élève mollasson que j’étais, j’ai – sans allergie culturelle, les maillots de football de la RDA étaient cool et la chanteuse Nena plutôt accorte – subi des années durant la langue de Goethe, tout autant que subi mes camarades coincés du cul, destinés à devenir ingénieurs informatiques ou clercs de notaire, époque révolue que j’ai transcendée en lisant l’intégrale de Thomas Mann, mais également dévoré une quantité phénoménale de saucisses et traîné mes guêtres dans les night clubs de Berlin, à une époque où la scène musicale était encore fraîche. En conséquence, germanophile à géométrie variable, je me plonge avec curiosité dans le nouvel album du duo Krotz Strüder & Julien Grandjean, qui me parait être, fouilles Internet effectuées et archives ADA consultées, une seule et même personne. Il y a de l’hétéronymie dans l’air, Pessoa, come on ! La littérature est à l’honneur, avec les textes du suisse Robert Walser (en 1956, quittant la clinique pour une promenade dans la neige, il marchera jusqu’à l’épuisement et la mort – Hans Castorp, avec des balls nihilistes) et de l’anglais Philip Larkin, que le Times désignera en 2008 comme étant le plus grand écrivain anglais depuis la seconde guerre mondiale. Merde, il est où Nick Hornby ? Dans un registre folk doom déglingué, porté par des percussions découses et néanmoins organiques, aux délicates volutes guitaristiques circa Television ou J.J. Cale, Julien Grandjean oscille entre chanson de qualité (Ce que tu faisais (encore) au silo), légèreté mélancolique (Wiegen) et absence à soi même, à l’instar d’un Zu abend mein herz qui ferait carrément bonne figure dans le jeu vidéo The Last Of Us. Oui, elle est mince la frontière, entre fantasmagorie et sincérité artistique : Julien Grandjean ne choisit pas et nous embarque et nous gratifie d’un imaginaire à la hauteur de ses afflictions. Marquant.