Un album instrumental, qui plus est uniquement constitué de percussions ? On a cette année eu le génial About Bridges du batteur breton Régïs Boulard, en ces pages hautement apprécié, alors quand, quelques mois après Three Bells (son quinzième opus depuis 2008), le prolifique californien Ty Segall se lance dans l’exercice, forcément Love Rudiments retient notre attention. Batterie, timbales, vibraphone, xylophone, d’arythmie en syncopes aléatoires, d’embryons mélodiques en savantes digressions, pulsations binaires, pointillisme atmosphérique, motifs groovy ou monotones, le surfeur natif de Laguna Beach explore et explose avec une liberté sans œillères une infinité de registres, entre jazz avant-gardiste, kraut-rock, psychédélisme vintage et même électro (l’on se prend parfois à imaginer James Murphy poser sa gouaille new yorkaise). Les sonorités enfantines - cloches, cliquetis, tintinnabulations, en mode Aphex Twin -, nous rappellent que la batterie est l’amour premier de Ty Garrett Segall, qui souvent enregistre en premier la piste rythmique avant d’ajouter le reste, tout le reste. Adossés les uns aux autres, les instrumentaux se succèdent de manière fluide, variant tempos et textures, et racontent l’histoire d’un trublion du rock bancal, jamais avare en expérimentations et pas de côtés. Ici, point de virtuosité, mais une musicalité tout à fait passionnante, tant Ty ne tombe pas dans le piège de l’autosatisfaction, l’artisan sûr de ses forces qui s’écoute jouer au détriment de l’auditeur perclus d’ennui. Non, conscient de ses limites, en toute spontanéité, il rebondit d’une idée l’autre, s’attarde peu, glisse en douceur, tâtonne et retombe sur ses pattes, jusqu’à nous offrir avec le conclusif Love Rudiments un morceau de choix, qui à lui seul justifie l’écoute de ce nouvel album, à part dans la foisonnante discographie de Ty Segall mais pertinent, puisqu’il l’éclaire de manière singulière.