Chez ADA, on passe tellement de temps à se pencher sur les artistes auto-produits ou publiés par des labels ultra underground qu’on en oublie de chroniquer les albums ici et là acclamés par la critique, tel ce Bright Future, sixième album solo d’Adrianne Lenker, par ailleurs chanteuse et guitariste des vénérés new-yorkais Big Thief. Le bon côté d’arriver après la guerre, c’est qu’on peut écouter les disques à tête reposée, tout en évitant allégrement les pièges de l’effrénée course à la hype, dans lequel il m’arrive tête baissée parfois de plonger, à l’instar du dernier Grandaddy, que j’ai considérablement surévalué. L’été, saison creuse par excellence, permet d’y remédier. Ainsi, la native d’Indianapolis, soucieuse d’enregistrer à l’ancienne, c’est à dire en analogique et en direct (d’où le souffle et les grincements et les bruits de bouche – paradoxalement, ces imperfections renforcent le naturalisme de l’interprétation – remember les Variations Goldberg exécutées par Glenn Gould ou le fabuleux There Is No One What Will Take Care of You des Palace Brothers), avec l’aide de l’ingé son Philip Weinrobe (Anna Ternheim, Elysian Fields, Kings Of Convenience), se lance dans le récital poignant des doutes et des tragédies qui l’habitent. En douze compositions d’obédience country folk, de sa voix légèrement voilée / fêlée au timbre reconnaissable entre mille, Adrianne Lenker parfois convoque piano et cordes pour épauler des chansons mélancoliques et néanmoins lumineuses, éclairées par des harmonies délicates, des arrangements minimalistes au rendu ondoyant et des cheesy mélodies rassurantes. Il faut dire que Bright Future ne recherche en rien l’expérimentation ou l’aventure, sauf à taille sensorielle, celle d’une artiste douée pour créer des climats touchants, entre nostalgie de ce qui (mal) fut et ne sera jamais. Le bémol, c’est l’absence d’un univers propre, même si sur Vampire Empire Adrianne tente d’élever le débat, entre Bob Dylan (la logorrhée verbale) et The Waterboys (l’énergie irish). L’ensemble reste malheureusement assez scolaire, difficile de s’enthousiasmer, là où en matière de post-folk Marissa Nadler et tant d’autres touchaient leurs billes dans les 2000s. Le chouette Evol nous donnera une clef paradoxale : mélancolique mélopée, le morceau détonne et offre une respiration bienvenue à un album certes réussi mais monolithique. Bright Future est tout à fait aimable mais, faute de compositions inspirées, il s’avère malgré la course à l’authentique – la voix les cordes l’âme qui grattent – particulièrement stérile. Zut.