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  • 29 janvier 2013 /
    Orouni
    My Favorite Things

    réalisée par gdo

Nouvelle rubrique sur A Découvrir Absolument. Nous demandons à des musiciens un petit texte sur un objet musical que qu’ils aiment utiliser. La rubrique ne s’adresse pas qu’aux spécialistes, donc le champ est large : ça peut aller d’un appareil technique préféré à un accessoire toujours présent quand ils enregistrent une chanson ou dans un contexte musical, en passant bien sûr par un instrument, objet fétiche, etc.

Ma Guitare Classique

Lorsqu’il s’est agi de parler d’un objet musical que j’aime utiliser, j’ai instantanément pensé à ma guitare classique ; je n’ai pas hésité une seule seconde. Cela doit faire une quinzaine d’années qu’elle m’accompagne, et elle est indétrônable. Même le piano antédiluvien de notre maison familiale, le synthé que j’ai reçu pour mon bac ou de géniaux instruments africains que j’ai acquis plus récemment ne sauraient prendre sa place.

Pourquoi ? Déjà, je la tiens de ma mère, qui avait commencé à prendre des cours de guitare dans sa jeunesse puis abandonné tout en conservant l’instrument. A mon adolescence, elle m’en a fait don, et je pense que si ce micro-événement n’était pas arrivé, je ne ferais pas de musique aujourd’hui. Il y a donc au départ un attachement sentimental, un côté “héritage historique” qui me plaît. D’autant plus qu’a suivi, peu après, un geste qui a radicalement et irréversiblement personnalisé la chose : avec l’aide de mes parents et de mon frère, nous avons peint la guitare à l’acrylique, la décorant de motifs psychédéliques. Ce geste indignerait les puristes, mais a rendu cette guitare encore plus unique à mes yeux.

Car je ne suis pas vraiment un puriste des instruments, en tout cas au sens technique. Les histoires de guitar hero me passent par dessus la tête, et ce que j’aime, dans ma guitare, c’est d’abord son toucher. Etrange sens invoqué, pour un objet visuellement chatoyant et dont on pourrait penser qu’il est inestimable à mes oreilles pour le son qu’il produit. Mais premièrement, l’instrument est un peu plus petit qu’une guitare standard, et je peux sans problème l’enserrer lorsque j’en joue assis (avec d’autres guitares, de taille normale, il m’arrive d’être gêné aux entournures). On m’a dit que c’était une “baby guitar” : en matière de nomenclature, je ne sais pas si c’est exact, mais le fait de se voir refiler une sorte de bébé par sa mère est assez stimulant (et intéresserait probablement plus d’un psychanalyste). En tout cas, aujourd’hui, c’est moi qui en prends soin, et la petite se porte bien.

Par ailleurs, on ne dira jamais assez la différence de toucher entre des cordes en nylon (le propre des guitares classiques) et des cordes en métal (guitares folk). Pour moi, les premières ont toutes les qualités : rondeur, translucidité, souplesse et solidité à la fois. Les cordes de folk sont maigres, trop brillantes, froides et cassantes. Pour vous donner une idée de la différence de son, dans les années 60 Leonard Cohen était un adepte du nylon, tandis que Bob Dylan faisait dans le métal. Rien à voir, n’est-ce pas ?

Heureusement, tout ceci se traduit également de mon côté en termes musicaux : si j’apprécie ma guitare classique, ce n’est pas seulement pour la prendre dans mes bras ou caresser ses cordes de façon stérile, comme on pourrait manipuler un objet anti-stress, mais bel et bien pour en faire quelque chose. Et la conséquence de tout ce qui précède est que j’ai composé la quasi-intégralité de mes chansons en laissant glisser mes doigts sur elle, quitte à la remplacer par la suite, lors des enregistrements, par une folk ou un piano. Quand j’ai acheté ma première guitare à cordes en métal, je n’ai jamais réussi à composer quoi que ce soit dessus. Pourtant, acquérir un nouvel instrument était une nécessité, car on peut assez vite être limité par le son relativement velouté de la classique : pour obtenir une bonne dose de punch et de mordant dans la rythmique, les cordes en métal n’ont pas leur pareil (pensez aux Kinks). Mais je revenais systématiquement au nylon. C’est un phénomène que j’aborde dans les paroles de City Lights, écrites avec Henry Sparrow pour notre groupe The Limes : comment faire sortir quoi que ce soit d’un objet tactilement hostile ?

Aujourd’hui, après m’être procuré une bonne guitare folk (notamment pour la scène), pourvue d’un son que j’aime beaucoup et très agréable à jouer, je sens qu’il peut y avoir de la concurrence. Elle monte en puissance dans ma panoplie musicale, et j’ai commencé à composer des mélodies dessus. Mais il n’y a qu’une seule guitare qu’on entend sur tous mes disques (les trois qui existent ainsi que le prochain à sortir). Et il se pourrait bien qu’on entende encore son timbre sur le suivant. Car malgré toutes les qualités de la nouvelle, cette dernière passe toujours la nuit enfermée dans son étui noir rigide (un cercueil, en somme), alors que ma classique dort juste à côté de mon lit, dans le plus simple appareil.