Un petit bonjour du pays aux valeurs barbares où je vis contraint et forcé, ce pays où l’on est sensé vivre de pouvoir, gains-carrières-sucres-rapides et stroboscopes hypno-cathodiques. Tout ici n’est que vacarme continu, martèlements, convictions vociférées qui tentent de guider nos pas et trop souvent y parviennent. Las et résignés, mes quelques amis ont l’un après l’autre perdu toute esquisse de sourire, ils se bornent à errer de ça de là, remplissant telle ou telle tâche à l’édifiante futilité pour se donner un semblant de mouvement. L’idée même de beauté ? Elle a depuis longtemps déserté les lieux, à l’image des couloirs de métro où l’on pousse à présent le son des scies hiphopisées pour mieux camoufler la détresse d’un jeune flutiste que personne pourtant n’aurait songé à remarquer.

Et c’est l’instant qu’elle, Tanya, l’amour de mes quatorze ans, choisit pour resurgir parmi nous ! A la nuit tombée et pour moi seulement, Tanya dansait suavement au son du walkman, petite blondinette un peu triste qui me prenait la main pour me réchauffer de cette voix désenchantée qui fait frémir ou serrer très fort la couverture contre soi. Tanya, grande soeur idéale, ne me quitterait jamais, celà fait partie de ces choses qu’on sait d’instinct. Dés lors, qu’importait l’égarement du second Belly ou les presqu’insignifiants deux premiers albums sous son nom ? Pour ceux qui n’ont jamais pu oublier, ce merveilleux "Whiskey Tango Ghost" n’aura rien d’une surprise (pour les autres, il est toujours temps de rattraper le temps perdu). Collection de ballades touchantes subtilement et brillament mises en musique, à la batterie esquissée et au piano effleuré, ce disque est bien entendu dominé par une voix reconnaissable entre mille, celle d’une éternelle jeune fille heureuse, mais ne pouvant s’empêcher d’anticiper la perte cruelle qui ne manquera d’un jour la frapper. Un vrai chef d’oeuvre (ne fut-ce que Butterfly Thing ou My Life as a Ghost, à écouter en boucle), de quoi mourir heureux une fois pour toutes.