Cursing The Sea, premier album des dublinoises September Girls, sans ne rien inventer, avait beaucoup plu pour sa fraîcheur shoegaze et sa noirceur sous-jacente. Malgré un soleil parfois plombé, cette musique assumait parfaitement son inclinaison pop ainsi qu’une pugnacité limite querelleuse. Restait à savoir comment les filles allaient-elles ensuite rebondir : dans la formule reconduite, l’application estudiantine ou la totale remise en question ?
Age Of Indignation déjoue les pronostics. Disque sombre, rude, pas toujours évident, ce deuxième opus extirpe certains aspects de Cursing The Sea (l’orgue, les guitares arabisantes façon « Killing An Arab ») pour construire dix cathédrales mortuaires, plombées mais ambitieuses. La brève insouciance hier entraperçue chez September Girls a maintenant viré au chaos organisé, à la tristesse combative et à la prière dépitée. La violence persiste néanmoins, plus visible, plus affirmée : comme si le Sonic Youth en transe de Evol s’associait au Cure bagarreur de Pornography. Avec une démesure qui pourrait tendre vers l’opéra rock (« Catholic Guilt ») sans ne jamais franchir la barrière de l’inacceptable – cette noirceur n’est ni philosophique ni conceptualisée, elle provient d’un dégoût intime, d’une colère tellement vive qu’expurgée de toute distanciation.
Façonné telle une marche funèbre (l’album commence par un emprunt à Joy Division), Age Of Indignation affirme la lourdeur rythmique, la voix spectrale, les cassures harmoniques, les refrains désenchantés. Noir mais pas glauque : September Girls, comme dans toutes les bonnes possessions post-punk, réussit à hypnotiser plutôt qu’agresser. Cette rage détient une parcelle réconfortante, un marasme où il fait bon se perdre.
De façon logique, les meilleurs albums entendus depuis janvier fraient avec l’indignation ou le questionnement identitaire. De Murat à Mona Kazu, de September Girls à La Pietà, de Bowie à Michel Cloup, on cherche à se redéfinir pour mieux comprendre le monde, on outrepasse les frontières pour chercher des réponses ailleurs, on s’identifie aux anonymes en espérant se trouver soi-même… Musiques troublantes, pas vraiment sereines, qui traduisent, mieux qu’un beau discours sociologique, une crise morale à présent universelle.