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mercredi 31 octobre

C’est avec la verve électronique de Miho Hatori que le festival Soy aura ouvert au Trempolino, le plaçant sous des très bons augures : après un déluge noise moyennement engageant pour ouvrir son set, Miho, toute vivace sous son bonnet une fois son micro en main, ses bidouillages électro en place, offre une musique qui tourne au clubing, évoquant des quartiers perdus de Tokyo, la vie, le monde au rythme des beats.

Une fois cette ouvre-bouche dégusté, direction le Stéreolux pour saisir au vol la pop typée 60s d’Olden Yolk qui se révélera assez indigeste à force de réciter sans vergogne ses références sans énergie propre. En Attendant Ana viendra changer la donne avec une musique plus énervée et porteuse d’une joie enfante apportée à grands renforts de trompette et de grandes semonces de guitare, comme un Neutral Milk Hotel qui déciderait d’être plus punk - parfois à l’excès quand les mélodies demanderaient le dépouillement.

Rolling Blackouts Coastal Fevers viendra enfin faire bouger une salle jusque-là mollassonne sur leurs chansons pop comme des hymnes ; basse catchy et batterie simple et juste, là se croisent Police ou les élans plus joyeux de The Cure.

Finalement, c’est sous la douce mélopée d’Andy Shauf que se conclura la soirée : des moments merveilleux où la voix devine les vents qui surgissent et soulèvent les mélodies, on parlait de lui comme d’un magicien : on avait bien raison, il y a quelque chose d’ensorcelé dans ses refrains allants, endormis, dans ce sonwriting rêveur.

jeudi 1 novembre

Au muséum d’histoire naturelle, on aura la chance d’être installé dans un auditorium et ses fauteuils confortables pour profiter au mieux des deux sets contemplatifs qui allaient suivre.

Tout d’abord, ce sera Anne Müller qui s’installera à côté d’une ribambelle de pédales à effets, en chaussettes, armée de son violoncelle, pour ce qui restera l’un des tous meilleurs concerts de cette édition du Soy. En un morceau magnifique, composé avec Nils Frahm pour leur album en collaboration, on passe par des renflements grave fantastiques, les courbes invisibles du violoncelle se mélangent, se noient, des lignes et des lignes mélodiques s’additionnent jusqu’à l’effondrement : on a là quelque chose qui emporte et soulève loin. Débuté sur les meilleures augures, tout le reste du concert sera encore d’aussi haute volée, à naviguer entre des aigus superbes et des drones troublés de graves, sortant des sons inimaginables du violoncelle (on se rappelle alors du merveilleux album Pools of light de Jessica Moss de l’an passé, où l’on ressentait des choses semblables).

C’est trop rapidement qu’on abandonne cette musique pour celle des trifouilleurs toulousains de Saåad. Riches d’une collaboration passée avec Mondkopf et une partie d’Oiseaux Tempête (l’immense album Earth, de Foudre !), j’attendais beaucoup de l’expression propre du duo, entre salves analogiques et percussions métalliques.

Malheureusement si la proposition semblait alléchante, dans l’exécution il manquera toujours un quelque chose, une force, un sursaut pour tout à fait convaincre : malgré l’originalité du set - des objets de ferraille de plein de formes différentes, des guitares préparées pour accompagner l’électronique - on a un peu l’impression d’entendre des belles choses qui disparaissent, comme si ce genre de musique était davantage faite pour le studio. Ce n’est pas non plus un mauvais set, loin s’en faut, mais je m’attendais à bien plus.

Qu’importe, on sera rattrapé ensuite par la trap, le hip-hop musclé aux basses rapides et fortes de Flohio, qui entraînera tout le bar du Lieu Unique dans son concert mouvementé, coup de poing. Au foyer haut, ce sera Black Midi qui entamera la soirée avec un rock éclaté, surprenant, noise et maîtrisé : après une entrée en fanfare sur un sample trafiqué, tous s’activent à offrir une musique enlevée, où tout survient de manière impromptue, bien qu’on semble pouvoir deviner chaque mouvement. Tantôt lancinant spoken-word sur échos crasseux de guitare rappelant Slint ou Enablers, tantôt sursauts hallucinés où tout semble permis.

On ne peut malheureusement pas dire la même chose de Lydia Lunch et Jochen Arbeit, qui auront livré un set loin des attentes : Lydia Lunch vieillissante, qui s’essaie à un spoken-word, tour à tour assise avec un éventail, nonchalamment, un verre de vin à portée de main, ou debout à tenter d’exhorter la foule en parlant de choses et autres (de sexe, de violence faite aux femmes, de Five Years de Bowie), mais on n’y croit jamais vraiment, tandis qu’à côté, Arbeit offre une improvisation atmosphérique de guitare hors de propos, qui ne vient ni souligner le propos ni même offrir quoi que ce soit d’intéressant à écouter : beaucoup seront les spectateurs déroutés à regarder de loin le spectacle, préférant retourner au bar.

Après cette amère déception, retour à quelque chose de beaucoup plus mouvementé avec la techno de Marie Davidson, efficace et chaleureuse, comme une version heureuse d’Helena Hauff, un show d’une efficacité sans faille. Et ce sera malheureusement là la fin de cette journée pour moi, trop fatigué pour suivre le set de FAKA, apparemment haut en couleur, qui aura suivi.

Vendredi 2 novembre

Le vendredi débutera fort au Bras de Fer - chouette bar temporaire en matériaux de récupération - avec Pigs Pigs Pigs Pigs Pigs Pigs Pigs, groupe de stoner agressif, au chanteur s’enroulant dans son fil de micro pour mieux venir hurler, et aux décibels surnuméraires. Monolithique et bruyant, on sort de là l’esprit embrumé, en sueur.

Ce sera ensuite la Barakason pour toute la soirée, et une soirée autour du punk, de la noise, de l’énergie et la violence.

On débutera par Here Lies Man pour poursuivre dans la voix du stoner, cette fois prenant des penchants plus afrobeat après le set tellurique précédent : des sursauts et des choses plus calmes.

À même le sol du bar de la Barakason, on profitera ensuite du show génial de Yonatan Gat : trio math-rock tribal, on navigue dans les eaux excités du meilleur de Totorro, couplé avec ces énervements comme incantatoire, des chants envoutés qui tonnent avant le déferlement de la batterie, dans la meilleure forme qui soit pour ce genre de musique : comme Pneu, le public entourant les musiciens resserrés en un petit cercle, se rapprochant encore et encore, quitte à former une foule incroyablement compacte.

Changement radical de style avec le génial Ian Stevonius ensuite (ou Escape-Ism, si on garde son nom de projet). Un homme habillé dans un style dandy des années 60, qui joue et fanfaronne dans des exergues à la Nick Cave, exubérant alors qu’il arrache de sa guitare des riffs bruités, truffés de crasse métallique, en sautant dans tous les sens. En plus, une boîte à rythme glaçante à la Suicide derrière, et un micro à la main qui vient prendre la place de la guitare à intervalle régulier (plutôt que se contenter du micro sur pied). Show aussi drôle qu’intense - le besoin de recourir à un traducteur pour le public, traducteur racontant n’importe quoi, c’est normalement que l’ovation se fera longue.

Crack Cloud s’occupera d’occuper la scène ensuite avec ses 7 membres, pour de nombreuses guitares en symétries, autour du chanteur et batteur central. Post-punk emporté et énervé, on pense à Talking Heads ou Fugazi, dans ces tempêtes de guitare.

Finalement Bambara viendra clore la soirée avec méchanceté, du punk noisy simple et efficace

Samedi 3 novembre

Après avoir raté le concert de Martina Lussi au musée d’Arts, c’est à la maison Fumetti que débutera la plus belle journée de concerts, avec Shannon Lay, sa salopette bleue et ses cheveux longs teints d’un rouge primaire. Shannon Lay, toute simple avec sa guitare, entonnera pour notre plus grand plaisir des mélodies folk mélancoliques et heureuses, d’une joie nostalgique, superbes. Toutes sur le tranchant, proche de la cassure, on s’émeut de la beauté simple de ces choses, les notes qui s’envolent d’un coin de lèvre rigolard de Shannon, la guitare qu’on égrène.

Sorti de ce nuage d’émotion, on rejoint alors la Maison de Quartier de Doulon pour la soirée qui s’annonce pop. Sentiment non démenti par l’incroyable performance de Kate NV, musicienne au look déluré, toute resplendissante de blanc, installée devant ses bidouillages électroniques : le show commencera de manière introspective, presque comme de la musique concrète, Kate enregistrant des percussions une à une via des instruments étranges, détournés de leur utilisation première, on penserait à Ryuichi Sakamoto ou Laurie Anderson, avant que le show prenne une toute autre tournure alors qu’elle lance des beats électro poétiques et naïfs et bien plus dansants, un peu vieillis, sur lesquels Kate dansera avec un sourire monstrueusement contagieux, avec des sursauts, des gestes de la main qu’on suit malgré soi avec attention, quelque chose plein d’humour, de mignonnerie japonaise. Les mélodies superbes s’enchaînent, convoquant aussi bien Kate Bush par la voix pincée que François de Roubaix dans ces synthés aux sonorités merveilleusement rétro. Je sortirai du concert comme d’un nuage, un peu amoureux, un peu perdu et bouleversé par ce que je viens de voir - tandis que Kate NV poursuivra dans sa bonne humeur en dansant toute seule comme si le monde n’existait pas devant le DJ d’entre-concert, avec un pull rose où est inscrit « EXTROVERT » - naturelle dans son immense partage de joie jusqu’au bout, comme si cette musicienne était « toute ensoleillée d’existence ».

C’est encore dans mon rêve du concert précédent que je profiterai d’Halo Maud - Maud Octallin en groupe, où les refrains pop grimpent en énergie, pour quelque chose qui m’échappera un peu malgré un talent indéniable, encore pris par les relents de la joie précédente.

Rodrigo Amarante enchantera le public de toutes ses saudades servies par une voix suave et délicate, sur laquelle se greffent les percussions douces, les tam-tam ou cloches de vaches. Mais c’est quand il se retrouvera seul qu’il touchera le plus de son songwriting émouvant, impeccable de classe et de don de soi. Le duo que j’attendais le plus ce soir,

The KVB, cloturera la soirée avec un impeccable show noisy, où leurs morceaux sombres et synthpop qui empruntent autant à Depeche Mode qu’à Joy Division viennent gagner une crasse qu’on ne ressent que peu en studio : le guitariste s’énerve alors que des projections vidéos viennent hypnotiser tout ce monde ; un set revigorant, nerveux et jubilatoire.

Dimanche 4 novembre

Ce sera sur les bateaux de la croisière sur l’Erdre que s’achèvera le festival Soy : embarqués sur les coups de 18h, on profitera autant du cadre formidable d’une nuit à flotter sur l’Erdre (les bords prenant sous les projecteurs éclatant du bateau un aspect étrange et happant, proche de certaines scènes du Twin Peaks de David Lynch). Après une mise en bouche par la techno assez angoissante du DJ Discolowcost, ce sera Paula échappée de J.C. Satan qui prendra place derrière un micro et un clavier, accompagnée de Théo, pour former Succhiamo, et offrir une techno crasse, horrifique et irrésistiblement sanguine, où les percussions croisent la voix déglinguée de la chanteuse ; le set fonctionnera bien malgré un certain manque de diversité. On retourne profiter du pont du bateau pour respirer un peu en attendant d’accoster, en se remémorant des soirées intenses passées, des déceptions et surtout des belles découvertes de cette édition du Soy.

Crédits photos : Caroline Chaffiraud, Benjamin Rullier et Christian Chauvet




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