Parmi les facilités que nous avons, nous les chroniqueurs (du dimanche) c’est de voir dans la musique instrumentale, la bande-son d’un film imaginaire, rendant l’exercice souvent aussi concluant que la démonstration que pourra me faire un démonstrateur en téléphonie mobile de passer à la 4G alors que je suis totalement rétif à l’idée d’être tout le temps relié au monde, alors que rien qu’en mettant les pieds dans une forêt je me sens en symbiose avec une nature qui morfle pas mal de notre faute.
L’avantage avec « Le Tigre de Tasmanie », c’est qu’il est la B.O. d’un film d’animation réalisé par Vergine Keaton. Le film montre en parallèle un thylacine, le fameux tigre de Tasmanie et des images d’un glacier lui fondant sous les effets d’un réveil volcanique. Instantané saisissant, ce film a déclenché chez Les Marquises un souffle créatif aussi puissant que peut être la nature quand elle remet l’homme à sa place en lui montrant sa force. Car sans avoir vu le film, le morceau de presque 15 minutes est comme une oeuvre dont l’intrigue se jouerait en plusieurs actes, allant jusqu’à la quasi-désolation d’un univers en déperdition à une forme de félicité rédemptrice, arrivant dans ce qui pourrait être un palais aux accents liturgiques à l’entrée duquel il nous sera demandé via une sonorité quasi hypnotisante, de respecter les lieux sous peine de ne plus rien revoir. Ténébreux, hypnotique, presque mathématique dans son introduction, ce morceau finira donc par nous hypnotiser, une continuité quasi évidente.
Ce EP est agrémenté de trois inédits, comme trois lignes sur lesquels Les Marquises semblent se déplacer, survolant le monde entre musique sérielle, musique atmosphérique contrariée et tapageuse et électronique dépourvue d’artefact mais pas de force d’attraction.
Depuis ses premiers titres, Les Marquises se construisent, ou plutôt nous construisent un univers à part, un endroit dans lequel il n’est pas facile d’entrer, mais surtout dans lequel il est ensuite impossible de sortir. « Le Tigre de Tasmanie » place Les Marquises au sommet d’une montagne, que nous tentons d’escalader avec eux, en confiance totale avec des musiciens qui ne se posent pas la question de la possible image, ils dessinent avec des notes et des lignes, un univers qu’il est inutile d’imaginer, car il nous absorbe. Fascinant.