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En préambule à cette chronique je dois vous dire que c’est probablement l’un, si ce n’est le papier le plus difficile que j’ai eu à écrire depuis plus de vingt années de chroniques passionnées à défaut d’être passionnantes, et la période que nous vivons n’y est pour rien. Difficile comme l’est la lettre d’amour pour celle que nous pensons être celle du grand chemin. Comme la lettre d’adieu à un être chère que nous allons quitter définitivement. Ici comme le texte qui va tenter de traduire l’effet incroyable qu’aura ce disque sur moi. Une forme d’épreuve face à une œuvre bouleversante au sens où elle chamboule une certaine histoire, l’incapacité à réussir la traduction comme un pré-requis.

Oui, il fallait être préparé. On ne s’impose pas ce genre de périple sans assurer ses arrières, sans prendre soin de ne pas oublier. Mais il aurait fallu prévenir, le cœur est un organe fragile. Les Marquises avaient jusqu’à présent élaboré une discographie encore prêt du monde, travaillant même avec lui le temps d’un précédent disque pendant lequel le duo avait peut-être perdu le sens de sa boussole. (A night full of Collapses). Pour « La Battue », c’est la nôtre que nous allons perdre, le duo imposant un changement radical dans notre perception de l’espace, de la dualité scientifique des pôles. Préparez-vous, un monde nouveau et transcendant va chambouler votre espace.

Dés l’ouverture, « Bare Land » est un avertisseur envoyant le signe de ralliement. Une entrée dans un lieu de culte grandiose et intimidant, comme si nous savions qu’à compter de ce moment, nous allioins nous remettre entre les mains d’un groupe, non pas par absence de résistance, peut être juste par la confiance que l’on donne à quelqu’un qui ne nous a jamais déçu.

Après une pochette qui en faisait référence, après une quête d’un animal à la rencontre impossible, Les Marquises utilise encore la terminologie de la chasse (La Battue). Il n’est pas question de prendre la vie ici, l’ambition est plutôt de donner un sens à la vie, même sous un ciel inquiétant, faisant d’une rythmique que l’on imaginerait sorti d’un Tarzan avec Johnny Weissmuller, le professeur d’un coeur à alimenter, à irriguer. La vie explosera alors comme l’ultime acte d’une pièce musicale imposante, une musique d’aventure, l’impression d’entre le plus infime son du monde organique qui nous entoure.

Toujours à l’affût, les Marquises offrent avec « The Trap » la chanson la plus antinomique de l’histoire. Ce n’est pas un piège que le duo nous tend. Pas une seconde, nous nous débattrons pour en sortir, « The Trap » étant un titre incroyable, une sorte de rencontre du troisième type avec comme unique décodeur viable, la grille de lecture de partition des sentiments. Quasiment shamanique, ils arrivent en se débarrassant de la couleur, par l’utilisation d’une texture ancienne, à nous plonger dans un passé qui pourrait nous recomposer. On parle souvent de chef d’œuvre, ici on n’en parle pas, son écoute l’impose sans l’étiqueter.

Arrive alors « Older Than Fear » , morceau pesant, inquiétant, troublant. Il ne semble ne tenir que sur un fil, sauf qu’un final, c’est nous qui sommes sur le fil d’un rasoir que les Marquises aiguisent le long de cette plage sonore flippante. Suivra « Shape The Wheel » , un morceau que l’on rêverait voir interprété par PJ Harvey, tant ce titre voit le fantôme de To Bring you my Love rencontrer deux alchimistes pour au final nous envoûter.

Dans une telle aventure, il y a un point de bascule. Ce sera « Head as a Scree » . Attention, ce morceau n’est pas à mettre entre toutes les oreilles. Il y a quelque chose du voyage au bout de la nuit, une odeur de soufre, comme le couloir que nous devrions emporter sans savoir si au bout la fin n’est pas au bout. C’est un monstre tout aussi synthétique qu’organique qui semble devoir tout avaler sur son passage, même nous. Gargantuesque, tout aussi épique que tribale, il se déploie avec sa cohorte de chimères inquiétantes. C’est un titre monstre, une création musicale qui n’a rien de machiavélique (car c’est tout le pouvoir du duo de ne jamais pactiser avec le mal) mais qui nous propulse là où il est dangereux d’aller.

Après ce choc, « White Cliff » est une lente divagation au pied d’un mur rocheux. La tentation du vide dans un soupir qui ressemble à de l’apaisement, mais qui suscite l’angoisse. On pense beaucoup aux travaux de Tarwater sur ce titre, notamment sur " Silur " et à degré moindre sur « Animals, Suns & Atoms », même façon de nous emmener avec une fausse quiétude qui pourrait s’apparenter à du renoncement si au final tout cela n’accouchait pas d’un titre fantastique.

« Hosts are Missing » qui suit, est un tourbillon lynchéen. Ce qui est fascinant chez Les Marquises, c’est cette façon de jouer avec des sons, offrant des propositions qui ne seront pas toujours les routes à suivre. Sans jamais nous perdre ni nous disperser, le vertige nous happe comme dans le meilleur du cinéma de Lynch. La clé est savamment cachée, et même un Nearly God en grande forme ne trouverait pas facilement le code de ce titre ébouriffant.

C’est alors avec " One back Home " qu’il sera temps de prendre congé de nous dans le chaos, mais pas une cacophonie, ou comment retranscrire en musique ce que pourrait être une brume épaisse avalée par une machine aspirante a qui la dernière note serait confiée (Twin Peaks saison 3 épisode 8). Par là, Les Marquises semblent nous dire au revoir et laisser comme place nette, suggérant presque que rien ne s’est réellement passé. Mais c’est oublié le périple. C’est condamner la mémoire qui pourtant n’est pas prête de se remettre du choc, de ce voyage déstabilisant, nous plongeons presque dans ce que la psyché à de plus sombre, nous transformant en explorateur sorti du " The Lost City of Z " de James Gray, nous offrant surtout le cadeau que nous cherchons sans cesse en écoutant de la musique. « La Battue » est un disque qui ne se résume pas, il se mérite, mais l’effort n’est pas là où vous croyez, l’effort sera de pouvoir écouter autre chose, de ce sortir de cette expérience unique. Les Marquises portent à merveille ce nom, l’insularité comme évidence, tant ce duo semble loin de tout, sauf d’une étoile, celle du génie absolue, père de " Spirit of Eden " ou de "Laughing Stock". C H E F D’O E U V R E