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Entre 7° 50 - 10° 35 de latitude Sud et 138+ 25 - 140° 50 de longitude Ouest, Les Marquises, Brel, Gauguin, les couleurs, le soleil, l’ombre qui ne dort jamais. Les Marquises iles que l’on rêve perdue pour tout le monde, que l’on garderait comme on garde jalousement un trésor de famille. Les Marquises rêve du paradis sur terre, mais aussi maintenant un groupe –collectif qui sur « Lost Lost Lost » nous invite à un rêve d’une intensité rare, que l’on garderait presque égoïstement, craignant de le partager.

Les Marquises est mené par Jean Sébastien Nouveau (Immune, Recorded Home, Colo Colo), accompagné de l’américain Jordan Geiger (Minus Story, Sherwater, Hospital Ships) et du multi-instrumentiste Jonathan Grancollot (Pan Pan pAN, Robe et manteau). En six titres, ils viennent non pas de faire un pas de géant, car ces pas détruisent, mais d’avancer vers ce que Kubrick pouvait suggérer sans jamais le dire, vers ce à quoi Mak Hollis pouvait tendre, une forme d’éternité. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si je parle de Mak Hollis, les Marquises ayant en commun avec l’Anglais le format six titres, balayant d’un revers de la main aérien l’idée que dans la quantité il y a une part de géni. Mais j’en reparlerai.

Inspiré par les peintures de Henry Darger (http://www.abcd-artbrut.org/article.php3?id_article=91) le trio ne va jamais céder à la tristesse, à la folie qui se cache sous une épaisseur de couleur. Mais quand même. Si les titres devaient nous suggérer un voyage vers l’archipel, il se rapprocherait de celui où l’on trouva King Kong. On visualise bien, un bateau, un radeau perdu dans une brume épaisse, à travers de laquelle on finira par distinguer les contours d’une ile. La brume, ou le brouillard chez Les Marquises c’est l’épaisseur du son, les contours du paradis supposé, une trame quasi scénaristique, emmenant l’auditeur vers autre chose que la réalité qui l’entoure. L’écoute de « Comme Nous Brulons » est à elle seule une expérience proche du trip tribale, proche du décrochage du moi pour un abandon total. Pareille expérience ne se rencontrait que quand Mark Hollis avait décidé de quitter le monde, quand il ouvrait les vannes de son inspiration pour une œuvre monolithique mais échancrée et sculptée de partout.

Savaient ils où ils allaient ? Impossible de répondre positivement, tant les accidents jonchent ce voyage. Le frisson est partout, la moindre esquisse contrariée. Il y a la recherche d’une beauté qui n’est pas que lumineuse, une tristesse influencée par les tableaux de Henry Darger. Car le paradoxe, et le disque n’en est pas à un prêt, est que ce nom de paradis trouva son influence principale dans les dessins contrariés, les peintures belles et malades de Henry Darger. Citer le paradis pour mieux faire accepter les traumas de l’âme ? faire évoluer sa musique vers quelque chose de plus libre, de totalement insensible à un cadre, comme l’était la peinture de Henry Darger, prenant un support, sans s’imposer de limite. Comme en témoigne l’infinie mélancolie qui se dégage de « Sound And Fury », semble décoller dés l’arriver des cuivres, comme un souffle libérateur, un appel à tout à la sublimation, à la montée dans le ciel.

Evitant les récifs, se jouant du tumulte des océans, parvenant à avancer, sans profiter d’alizés annonçées, Les Marquises nous font profiter d’un voyage étonnant, où la profindeur n’est pas à trouver après un naufrage fatal. Un monument comme sorti du fond des océans.