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« Aussi loin qu’on va / On part avec soi / On ne s’oublie jamais ». Si dans le cru et néanmoins drôlatique texte de présentation qui accompagne la sortie de son nouvel opus, Bertrand Betsch cite espièglement le Michel Sardou de S’enfuir et après, lorsqu’il s’agit de voyages sans retour, allez savoir pourquoi, l’on pensera plutôt à Joseph Conrad, dont les personnages en vain tentent de changer de peau, ou à Fernando Pessoa, qui pour le coup, au travers de ses hétéronymes, aura endossé un certain nombre de masques, dont tous portent la marque infâme de l’intranquillité. Intranquille, Bertrand Betsch l’est indubitablement, et ce ne sont pas les dix chansons de Kit de Survie en Milieu Hostile qui nous contrediront. Enfant du mythique label Lithium, Bertrand aura traversé ce début de siècle avec un opiniâtre panache underground, dont la précieuse constance mérite l’admiration, tant il faut - à l’heure des like et des followers - du cran pour creuser un sillon qui ne vous absorbera pas tout entier. « Je voudrais partir d’ici / Vivre mille vies / Je voudrais sortir d’ici / Embrasser l’infini » Quitter, mais pour aller où, et faire quoi ? D’emblée, sur Les Grands Voyages, Bertrand Betsch de sa voix blanche et mélodieuse, qui par sa douceur humaniste rappelle Alain Souchon, vous prend à la gorge. Il y a la mélodie, complainte apaisée et néanmoins anxieuse, il y a les arrangements, guitares folk noyées de réverbération, boîte à rythmes, ponctuations électroniques, il y a dès l’ouverture une chanson qui laisse pantois : l’évidence de la variété, l’exigence de la sobriété, dans un monde meilleur, un tube à la radio. Et c’est ainsi qu’avec simplicité, les mots à l’os, les harmonies sensibles, l’élégance chevillée au corps, Kit de Survie en Milieu Hostile trace sa route en l’auditeur ému par tant de clarté grisâtre. Grisâtre d’un gris de ciel gris du nord de la France ou de Bretagne, un samedi midi, tandis qu’au bord des plages l’on ramasse des coquillages ou des cadavres de souvenirs. Aparté : Raphaël est certes critiquable (trop mignon, trop variété, trop nunuche) mais il faut reconnaître à son album Caravane une noirceur tout à fait appréciable, du genre de celle qui imbibe / inhibe les compositions de Bertrand Betsch, débarrassées des tics inhérents au mainstream. Ici, tout avance tout se lance tout penche vers l’autre, dans une sorte de communion empathique : l’écriture sans fioritures, nourrie d’un certain classicisme, entre pieds calculés, rimes et allitérations, jamais au détriment du fond, exprime l’essentiel, vise juste et touche en plein cœur. Des cordes de Les Chevaux de Frise aux arpèges électroniques de J’y pense et puis j’oublie, les arrangements discrets s’avèrent toujours judicieux, tant ils magnifient avec un goût certain des chansons sur le fil du rasoir, entre complaintes et ballades à la mélancolie avérée – cohérent de bout en bout, la beauté comme boussole, la sincérité en guise d’héritage, Kit de Survie en Milieu Hostile n’est rien de moins qu’un chef d’œuvre.