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Derrière un titre POMPEUX au possible que ne renierait pas une bande de fonctionnaires du métal aux cheveux gras et aux tee-shirts Babymetal achetés soixante euros lors du dernier Hellfest, Möbius Morphosis est la bande-son du ballet chorégraphié par Rachid Ouramdane et la Compagnie XY dans le cadre de « l’Olympiade Culturelle des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris », évènement planétaire à haute valeur ajoutée dont l’organisation unilatéralement désirée par la baigneuse de l’enfer Anne Hidalgo et ses vertueux compères pose question, même si en interroger la pertinence vous classera d’office dans le club des rageux : monde binaire, point de place pour le scepticisme.

Alors certes, pas de pitié pour les secteurs de la restauration et de l’hôtellerie (l’État saura compenser le manque à gagner / plumer), tout autant que pour les particuliers qui souhaitaient sous-louer à prix d’or leurs habitations et se payer sur la bête (à moi la villa en République Dominicaine !!!) (ah bah non), mais quand on voit le chaos et la désorganisation et l’absence d’enthousiasme (même en Seine-Saint-Denis, les billets gratuits ne trouvent pas preneur), on s’attend à une croustillante mascarade, qui serait amusante s’il ne s’agissait pas – dans un pays endetté comme jamais – d’argent public.

Et donc, quand un versaillais bien connu, Jean-Benoît Dunckel, moitié d’un duo iconique que la terre entière nous envierait (Air), musicien émérite à la carrière prolifique et néanmoins discrète (l’homme est au service de son œuvre, tout le contraire d’un David Guetta s’étonnant de ne point se voir invité à la cérémonie d’ouverture, que par ailleurs, confortablement planqué au nord de Belleville, nous ne regarderons pas – aucun parti-pris idéologique, juste un désintérêt pour les manifestations sportives, hormis quand l’Union Sportive de Concarneau joue) (et donc, Aya Nakamura ou Arielle Dombasle, en égéries du fameux rayonnement culturel français – on a les égéries qu’on peut –, je m’en tamponne le coquillard), sort sur Warner Classics (c’est quoi ce label ???) (tant qu’à faire, Netflix pourrait monter un label de musique consacré au quattrocento) (et Amazon mettre en avant les œuvres de Huysmans) une série de huit compositions instrumentales vouées à être interprétées par la Maîtrise de Radio France, on retient son souffle (pas le mien, le vôtre).

Sauf que même si l’on n’a jamais été sensible aux œuvres de Air (soupe électronique molle pour petits blancs des classes moyennes supérieures) et autres projets de JiBi (Darkel, Tomorrow’s World, Starwalker), nous allons tenter de dissocier le solennellement nommé Möbius Morphosis du contexte en vue duquel il a été composé et de l’appréhender comme un objet sonore à part entière, malgré la dissonance entre un intitulé un chouia élitiste (grec ancien + mathématiques allemandes du 19ème siècle, le lecteur de Télérama jubile) et une « fête » supposée hautement inclusive, donc ultra contemporaine et débarrassée des mortifères codes du passé (demain sera toujours mieux qu’hier).

Sous la direction de Sofi Jeannin, les huit compositions de JB Dunckel, mêlant électronique et instruments traditionnels, sont le pendant revisité de certaines œuvres de Jean-Michel Jarre (la tension lente), Vangelis (les nappes éthérées) et Eric Serra (les mélodies chorales pauvres, que l’on croirait interprétées par un clavier MIDI et qui plombent littéralement toute tentative harmonique – dans les 90s mon Amiga 500 faisait mieux) : rien de moins, mais moins bien, rien de plus, surtout rien de plus.

Quelle mouche a piqué JiBi ? Aucune mouche ni moustique covidé, bien entendu, je suis au courant, c’est l’époque, pourquoi s’ennuyer avec les gammes et les harmonies quand un bon vieux la mineur fait tourner la boutique ? L’ensemble est non seulement d’une pauvreté abyssale – aucune pulsation, aucun emballement, aucune tierce ni quinte ni même bémol – mais également d’une vacuité culturelle sans égale : un intitulé tel que Combats et Périls, c’est quoi le trip ?

Je veux dire, il s’agit de sport, personne ne va mourir, il est où le danger ? On n’est pas dans Gladiator, nom d’un chien !!! JiBi, tu regardes trop de films de baston !

Par (mal)chance, au moment où je rédige cette bien partiale chronique (mais il y a que la musique est dégueulasse), je me rends compte que le ballet chorégraphié par Rachid Ouramdane va être interprété en direct, sur France 4, par une centaine d’artistes issus du collectif d’acrobates du Ballet de l’Opéra national de Lyon et de la Maîtrise de Radio France.

Alors, avant de continuer, et il me reste dix minutes pour le faire, c’est l’occasion d’évoquer mon rapport à la danse contemporaine : j’ai été élevé par une danseuse classique, ma mère, dont l’exigence concernant les corps et les mœurs était très élevée, au point de mépriser la danse contemporaine, même si pour un certain nombre d’artiste l’évolution du registre fut salvatrice. Ayant grandi dans la salle de danse de ma mère, je peux deviner, rien qu’à la façon de poser son pied au sol et de marcher, qui a suivi des cours de danse classique, ou pas, et quelle exigence morale s’ensuit, tant la violence intériorisée de la danse classique est forte. Plus tard, étudiant à Brest, j’ai couvert un festival de danse, dont la programmation était pointue, et c’est là que j’ai pu admirer (et évoquer dans un fanzine écrit tout seul, sponsorisé par la fac ; j’étais l’unique étudiant intéressé par le sujet) les partitions gestuelles d’Emmanuelle Huynh et Hervé Robbe – avec qui en début de carrière Rachid Ouramdane a collaboré. Tout ça pour dire que la danse contemporaine, je m’y connais un peu et ne me laisse pas subjuguer par les facilités d’un Angelin Preljocaj, tout juste bon à mettre en scène des sérénades émotionnelles dignes d’une publicité pour des saucisses Knackis ou des bagnoles.

[Spectacle digéré] Une horreur. La chorégraphie de Rachid Ouramdane se résume à des portés paresseux, des pyramides humaines vacillantes (certains interprètes me paraissent peu affûtés), des courses (le truc de flemmard par excellence) et des roulements au sol sans inspiration. Le néant. Esthétiquement parlant, rien à se mettre sous la dent. Et que dire des choristes qui font semblant de chanter ? Devant mon écran, j’ai eu honte, et aussi pitié, pitié pour les adolescents qui, accolés aux murs du Panthéon, devaient se tenir le dos droit et le regard fixe, la bouche ouverte, mimant des chœurs irréalistes à peine digne d’un jeu vidéo d’héroic fantasy : voilà l’image pathétique que je retiendrai de Möbius Morphosis.




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