Depuis The Boatman’s Call (1997) et sa transformation en Papy Nick, c’est avec une légère appréhension – parfois injustifiée – que sont accueillis chacun des nouveaux opus de Nick Cave and the Bad Seeds. En effet, quoi de plus délicat lorsque le rockeur le plus magnétique de son époque devient ennuyeux ? Pas médiocre ou peu inspiré, non : juste ennuyeux. Certes, la destinée d’une idole, c’est d’être jetée à terre, mais au vu de la prodigieuse décennie de chefs d’œuvre que l’incandescent Australien nous aura offerts (de From Her to Eternity à Let Love In), Nick Cave mérite que l’on s’attarde sur le successeur de Ghosteen (2019), ce Wild God à l’intitulé éminemment amer (nous y reviendrons), coproduit par le fidèle Warren Ellis (dont le récent Love Changes Everything, sous bannière Dirty Three, est – pesons nos mots – compliqué à aimer) et sur lequel on retrouve Colin Greenwood ainsi que la regrettée Anita Lane, sa muse disparue il y a trois ans. Il faut dire qu’à l’instar du résilient Ghosteen, sombrement éclairé par le deuil d’un enfant perdu trop tôt, Wild God charrie son lot funeste, à tel point que l’on s’interroge sur les raisons qui poussent l’Australien à tenir, tenir debout, debout en plein vent, en plein vent mauvais. En effet, quelques mois avant la parution de l’ouvrage Faith, Hope, and Carnage (2022), Nick Cave doit faire face au suicide de Jethro, son fils aîné atteint de schizophrénie : il y a de quoi maudire le ciel, se demander si les dieux ne sont pas devenus fous ou trop sauvages, à l’image des hommes, peut-être, mais l’Australien choisira une autre voie, plus lumineuse. S’ouvrant sur le somptueux, intense et luxuriant Song of the Lake (on sent la patte de Dave Fridmann), Wild God – malgré une indéniable ambition artistique – me met mal à l’aise, tant – baignant dans une grossière atmosphère feelgood – j’ai la sensation d’assister, sous une tente en plein cagnard, à un roboratif prêche, donné par un évangéliste faussement enthousiaste (mais déprimé) et sa trop conciliante chorale (le final gospel à la Moby de Wild God, too much). Nick Cave ne nous ferait-il pas une Johnny Cash ? Bien sûr, la religion – apparat, métaphysique et noirceur – fait partie intégrante de l’œuvre de Révérend Nick, mais elle était jusqu’ici évoquée de manière plus littéraire – jusque dans ses passages mélancoliques, l’album est péniblement radieux. Quand en plus les arrangements s’avèrent indigents (la boucle synthétique de Final Rescue Attempt ; les nappes de clavier de Conversion ; le trip electro soul O Wow O Wow (How Wonderful She Is) et son auto tune), la réverbération insistante (sur Cinnamon Horses, pourquoi en mettre autant ?) et le pâteux Papy Nick trop présent (Long Dark Night), on a l’impression de ne pas entendre le même disque que nos dithyrambiques confrères, qui parlent de lumière, d’espoir, de grand retour et de franche réussite. Ceci dit, Wild God n’est ni médiocre ni peu inspiré, ni même ennuyeux. Non, c’est pire, le nouvel opus de Nick Cave and the Bad Seeds est – entre éreintant prêchi-prêcha et parti pris artistique bancal (malgré les importants moyens mis en œuvre, Wild God sonne cheap) – simplement, définitivement et malheureusement : gênant.