Les ravages du temps, c’est pour les autres. Trois disques en trois ans pour le duo bordelais Monsieur Crane, inspiré par Depeche Mode, Programme, Gazelle Twin et Godspeed You ! Black Emperor (à ce sujet, lire leur chouette interview de décembre dernier publiée chez nos confrères de Gonzaï), si l’on gamberge, l’on ne chôme pas : avec leur nouvel opus à l’intitulé ramifié (le Ravage de Barjavel ?), Mickaël Apollinaire (Lonely Walk, Crane Angels) et Plimplim nous plongent dans un bain électro coldwave dont les bien savonneuses bulles acides explosent au plafond mental de nos défaites programmées, à l’image de l’inaugural J’observe, espiègle (la mélodie 80s, faussement nonchalante) et néanmoins frontal, à la lisière du krautrock, du martial Je Vogue, chant lointain perdu dans la réverbération, rythmique oppressante et synthétiseurs vrillés, ou du caustique Hades, porté par des basses arpégées et un constat malheureusement universel - « Les sentiments s’effacent et laissent les cœurs secs ». En neuf compositions à la fois minimalistes et riches d’une intensité que jamais les mots ne diluent, disant la lose sentimentale (Par cœur), l’abdication de soi (le poignant Evy) et la laideur d’un monde qui n’en finit pas de décevoir (le mini-tube Où Allons-Nous), le mordant Les Ravages du Temps se fait le cousin lointain des œuvres de Suicide mais également, plus près de chez nous, de Gwendoline (sans les facilités idéologiques), MacThenardier (le rapport cru à l’intime) et Dernier Cri (sauvagerie froide), à tel point que l’on pourrait sans peine délocaliser le duo dans le Nancy des années 80 ou à Brest today (la pluie est aussi grise que nos âmes, à l’instar du low psychédélique Serpentaire). Comme quoi à Bordeaux il y a de la place pour autre chose que le revival grunge qui aujourd’hui fait florès jusque dans les pages des magazines mainstream, toujours en retard, mais il en va ainsi des médias français, jamais à la page. Les Ravages du Temps se ferme sur deux planantes pièces maîtresses, dont un Dans Tes Yeux parfait, auréolé d’une luminosité quasi shoegaze à la beauté indéniable. En ce sens, si Monsieur Crane creuse la noirceur, il n’en oublie pas de lever les yeux au ciel et de respirer à pleins poumons, parce que oui, l’univers est infini et nous offre un espoir que nous ne méritons certes pas mais arracherons à la force de nos rêves plus grands que nature. Merci pour la piqûre de rappel.