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A l’heure de leur plantureux quatrième (double !) album nommé “Two Sides To Every Story”, les quatre membres de Balbec (à savoir Gabriel, Stéphane, Isabelle et Vincent) nous ouvrent les portes de leur discothèque idéale. Entre coups de cœur intimes, morceaux emblématiques dans l’évolution du groupe et révélations décisives, Balbec par soi-même.

GABRIEL

MOGWAI – “Like Herod [Young Teams]”

Stéphane et moi avons eu la chance de découvrir Mogwai en 1996 quand nous faisions ensemble nos études à Londres. A l’époque nous étions très avides de nouveautés et nous allions à pas mal de concerts. Nous étions en contact avec des labels UK et avions été invités à un concert d’Eska, un groupe compagnon de label de Mogwai. C’était dans une toute petite salle et Eska a fait un très bon concert, mais je me souviens d’avoir été scotché par Mogwai et son leader de 17 ans avec un bombers Batman qui jouait la musique la plus émouvante qui soit. On les a revus par la suite à un concert de Low mais déjà j’avais perdu la parole tellement j’avais été impressionné. Ce concert a laissé une trace profonde dans mon imaginaire. Et des années après, quand j’ai décidé de composer mon premier morceau, ça a donné "Nova", que nous avons enregistré sur notre premier EP et plus récemment sur notre avant-dernier album. C’est un de nos morceaux phares, sur lequel nous nous sommes longtemps appuyés pour commencer ou finir nos concerts.

PAVEMENT – « Silence Kit »

Stephen Malkmus est incontestablement mon héros musical, le mec le plus cool de la terre même si c’est une des pires langues de pute de la musique indé. J’aime tout chez lui, à la fois sa dégaine, sa voix (il pourrait chanter Mary Poppins que je resterais fasciné), son écriture et bien évidemment son jeu de guitare. On a souvent tendance à passer sous silence ce côté-là de Pavement ; mais sous ses dehors dégingandés et foutraques, les mélodies sont incroyables. Il faut écouter "The Hexx..." sur le dernier album de Pavement ou alors les disques solos de Stephen Malkmus et on s’aperçoit que ce type est une sorte de mutant entre Les Paul et David Gilmour. "Silence Kit" est un des premiers morceaux dont j’ai capté les paroles : "This is the city life, come on let’s talk about leaving"… A 18 ans, après autant d’années dans un petit village, voila exactement ce que j’avais envie d’entendre. Un morceau mal branlé mais glorieux qui pousse à la découverte.

PORTISHEAD – « Only You »

Quand nous discutons ensemble, nous ne sommes pas toujours d’accord sur quel morceau citer, mais il est évident que Portishead a été un des marqueurs de notre parcours musical, car nous avons vécu notre période Trip Hop. Le début de Balbec est marqué par cette fascination pour la voix d’Isabelle qui peut nous émouvoir tout autant que celle de Beth Gibbons (et ce n’est pas peu dire). Au-delà de la voix de sa frontwoman, Portishead est aussi un groupe incroyable avec des musiciens bigrement talentueux qui ont apporté quelque-chose de très personnel et de très beau dans la musique des nineties. Le traitement du son était aussi une découverte en soi, très loin de la production musicale du moment. Je n’ai jamais compris ceux qui pouvaient trouver cette musique trop sombre et par conséquent rebutante. Personnellement, une telle beauté ne m’accable jamais mais au contraire me transcende, elle a quelque-chose en elle qui me donnerait presque la foi.

RADIOHEAD – « Life In A Glasshouse »

C’est pour moi le grand groupe de notre génération. Jamais là où on les attend et en même temps toujours émouvants et pertinents. Pour être modeste, je dirais que nous partageons pas mal de choses avec eux ainsi qu’avec les Beatles sur les changements de rythme, le télescopage des mélodies, un goût avancé pour l’expérimentation pop, la luxuriance de certains arrangements et l’aridité de certains autres. Par contre, vestimentairement parlant, j’ai décroché depuis mes 25 ans.

MY BLOODY VALENTINE – « Soft As Snow But Warm Inside [Isn’t Anything]”

Après un EP de Talk Talk, "Loveless" est le premier disque que j’ai acheté sur les conseils de certains de mes amis. Je ne vous raconte pas ma tête quand j’ai mis le disque pour la première fois dans la chaîne hifi et que j’ai constaté comment j’avais dépensé la somme longuement économisée. J’ai été complètement déstabilisé, incapable de dire si je détestais ou si j’adorais. C’était bien trop loin de mes repères et de ce que j’avais pu aimer jusque-là (The Cure, Joy Division). Mais en même temps, j’y revenais sans arrêt car je ne comprenais pas cette musique. Et puis, au fur et à mesure, je l’ai apprivoisée, domptée et désormais elle fait partie de mes gênes. Je ne peux pas dire que Balbec fasse du MBV : nous n’essayons même pas car nous savons que ce serait perdu d’avance. En même temps, j’aimerais que nous puissions un jour sortir une œuvre qui produise sur ne serait-ce qu’une seule personne la même impression que MBV a produit sur moi. Je trouve que dans nos productions les plus récentes, nous nous libérons très largement de nos réflexes et de nos mimiques ; alors un jour peut-être...

STEPHANE

Si je devais citer des titres qui ont beaucoup compté pour moi, qui ont impacté ma vision musicale, qui ont forgé et défini mon esthétique, voire mon éthique, je me retrouve dans les cinq morceaux retenus par Gabriel, auxquels j’ajouterais :

WEDDING PRESENT – « Dare [Seamonsters, 1991] »

Mes deux amours de jeunesse se nomment Pixies aux US et Wedding Present en UK. L’esthétique Pixienne, avec ses mélodies asymétriques, ses cris et harmonies vocales entremêlées, ses ruptures de rythme, ses changements de dynamique… fait forcément partie de mon bagage viscéral. Pour autant je crois n’avoir jamais réussi à composer un morceau qui sonnerait à la manière des Pixies. Gabriel parvient à s’en approcher davantage. En revanche, le style du Wedding Present est souvent assez facilement reconnaissable dans mon jeu (pas forcément le son, mais le gratté). Peut-être parce que David Gedge a une manière de jouer de la guitare qui est rythmiquement comparable à celle d’un batteur, avec des allers-retours rapides, voire frénétiques, et syncopés.

SEBADOH – “Soul And Fire [Bubble And Scrape, 1993]”

Cette chanson de Lou Barlow, génie prolifique, fait partie des morceaux que je fredonne inconsciemment dans des circonstances diverses et fréquentes, dans la rue, dans des moments pensifs, en fonction peut-être de la météo… J’adore ce son de guitare cramé et cette tristesse dans la voix, même les cymbales véhiculent cette émotion, tout converge dans ce morceau. Et pourtant c’est une tristesse positive, qui ne se morfond pas mais pousse à aller de l’avant. Lou Barlow a mis des années à abandonner une posture « too cool for school » et à avouer qu’il considérait Black Francis des Pixies comme un génie. J’aime bien ces grands égos ébréchés, qui sont parfois submergés par une humilité qui les grandit.

STEREOLAB – « Revox [Refried Ectoplasm, 1995] »

Parfois décriés pour leur approche métronomique voire mécanique, sous la férule de Tim Gane, les Stereolab sont des mélodistes immenses à mes yeux. Leurs textures ne sont jamais « blanches », leur grain est au service d’harmonies soniques enveloppantes et hypnotiques, à la manière de la musique carnatique d’Inde du Sud, toutes proportions gardées. Les chants de Laëtitia Sadier, souvent lancinants, sont beaux comme des incantations de vestales. Bien qu’auteurs d’une discographie couvrant différents styles, c’est leur période initiale qui m’a paru la plus innovante et en rupture avec leur époque. Rarement comparés à My Bloody Valentine, je trouve qu’ils sont injustement peu cités comme groupe de référence. Peut-être parce que leur discographie inégale requiert une écoute sélective, mais au final très gratifiante.

ELLIOTT SMITH – “Needle In The Hay [Elliott Smith, 1995]” C’est un grand disparu, technicien accompli mais sans esbroufe, auteur à fleur de peau, qui a mis au monde cette perle qu’est « Needle In The Hay ». Si je me fie à mes oreilles et à mes poils de bras, j’y ressens de la rage pure, sans beuglement, la plus intense et la plus pénétrante qui soit car vêtue d’une beauté transcendante. La parodie des Muppets en « Sad Kermit » reste étonnamment juste dans sa drôlerie. Tellement d’autres morceaux seraient à citer comme m’ayant marqué au fer rouge, parmi lesquels sans chronologie particulière :

ARCADE FIRE – « Neighborhood #1 (Tunnels) » : l’art du crescendo : voix, bpm,

arrangement… tout est extatique

MODEST MOUSE – « Breakthrough »  : le morceau écorché par excellence

FUGAZI – « In On The Kill Taker » : la violence acérée, qui explose à fond la caisse

MOGWAI – « Come On Die Young »  : un morceau respiré autant que chanté, fragile et inexorable

PINBACK – « Non Photo-Blue » : j’aime ce son, ces choix, les entrelacs guitare/chants

HOOD – « All The Field is Cut and Sown » : une esthétique symbolique de mornes territoires, désabusée mais vive

JOY DIVISION – « Disorder »  : séminal est l’adjectif galvaudé qui décrit le mieux ce morceau de bravoure

ISABELLE

THE BYRDS – “Turn Turn Turn”

J’imagine que les images de cette époque, et notamment celles des concerts qui sont pourtant incroyables, ne nous transmettent qu’une infime idée de ce qu’a pu être l’émergence de la musique rock et l’explosion de créativité et de spontanéité qui l’a accompagnée. Chaque concert auquel on assistait devait être unique, historique. J’aime m’abreuver de ces images…

NIRVANA – « Smells Like Teen Spirit »

C’est grâce au choc esthétique de « Smells Like Teen Spirit » que j’ai pu m’ouvrir à la scène rock indé des années 80 et 90. Nirvana allait être un tremplin vers un groupe qui allait marquer ma trajectoire musicale, à savoir les Pixies, que j’ai donc malheureusement découverts en 1992, l’année de leur séparation.

PIXIES – « Gouge Away »

« Gouge Away », quintessence du style Pixien, contient tous les ferments et substrats de ce que je rechercherais par la suite dans la musique : l’aridité, les basses métalliques, les chants décadents, les ruptures de rythmes, la brutalité… Je les retrouverais ainsi chez SHELLAC (“Song Of The Minerals”), PJ HARVEY (“Dress”), JESUS LIZARD (“Blue Shot”) ou SHANNON WRIGHT (“Dyed In The Wool”).

Mais ce morceau m’a aussi donné le goût de l’insidieux, du vénéneux, de l’hypnotique, comme je l’ai apprécié chez JOY DIVISION (« Control »), RADIOHEAD (« Idiotheque »), ou Portishead dont j’ai écouté le second album en boucle pendant des jours.

Enfin, c’est toujours « Gouge Away » qui m’a ouvert aux sons stridents et tordus, à la manière des glorieux SONIC YOUTH (« Schizophrenia »), SEBADOH (« Sacred Attention ») ou BLONDE RED HEAD (« Swing Pool » et son magnifique cri) Maintenant, mon humeur vagabonderait plutôt du côté du blues, du folk ou de la country ; un retour aux sources, en somme.

VINCENT

Il est assez facile de citer trois albums avec lesquels je quitterais Balbec pour une île déserte. Il est plus complexe, en revanche, de citer trois morceaux qui me marquent, au point de construire, de structurer, d’étoffer, de manière inconsciente, une grille mélodique sur laquelle s’appuyer pour suivre la musique, parfois tortueuse, de Balbec. Cette grille musicale s’est construite grâce à plusieurs morceaux.

RIEN – « Requiem Pour Des Baroqueux [album 2003] »

Ce n’est pas un album de sept titres mais un seul et même morceau de cinquante minutes avec son introduction, ses respirations, ses accentuations et sa conclusion ; un requiem, comme son nom l’indique. L’introduction est calme et très longue. Elle vous prépare au voyage, vous déconnecte du monde réel, pose les bases dans une atmosphère calme et sombre. Lorsque vous êtes prêt à partir, prêt à accepter ce voyage, Rien vous embarque calmement avec une voix apaisante. Puis le premier incident de parcours survient, avec une musique qui s’accélère dans une vision très personnelle de la série télé Dallas. Suit une petite respiration pour se préparer à une lente et belle ballade teintée d’ambiances très Pink Floyd, de voix à la Thurston Moore, d’arpèges et d’une basse qui me donne l’étrange impression d’avoir écrit celle ligne. Une nouvelle voix calme nous accompagne, et le voyage continue, puis s’accélère, la musique est soutenue avant une dernière respiration scientifique. Le voyage est bientôt terminé, l’atmosphère est lourde et petit à petit, la fin se dessine avec des petites accentuations et des rappels de mélodies entendues çà et là, tout au long de ce morceau qui se termine comme il a commencé, comme pour vous ramener au monde réel. J’adore ce « Requiem » pour son ambiance, son calme, son rythme, sa complexité. La basse est soutenue, mais très intelligemment placée, les voix sont posées et apaisantes, les mélodies sont entraînantes. Tout est fait pour transporter l’auditeur, avec un début et une fin propices aux voyages, avec un décollage et un atterrissage, avec des accélérations et des respirations. J’aurais également pu citer :

- LE PRINCE MIIAOU – « No Compassion Available [Safety First, 2011] »

- PJ HARVEY – “England [Let England Shake, 2011]”

BIG ’N – “Chinese Jet Pilot [Cutthroat, 1994]”

C’est un morceau qui commence par une batterie simple, épurée. Un larsen de guitare nous donne le sentiment que cette batterie n’est qu’un leurre et que tout va exploser. Et ça explose, mais c’est une explosion contenue, la batterie reste épurée, ne change pas. La guitare et la basse restent collées à la batterie. Tout reste sous contrôle, presque tout... La voix arrive de nulle part, forte, rageuse, irrespectueuse. Elle ne répond à aucune règle, elle est libre, désinvolte et c’est jouissif, ça me touche beaucoup. Puis ça s’emballe par moment et c’est encore plus fort, plus intense. J’aime ce contraste entre une ligne rythmique très propre, très carrée, et une mélodie désinvolte.

J’aurais pu aussi citer  :

- JUNE OF 44 – “Cut Your Face [Four Great Points, 1997]”

- SHELLAC – “The End Of The Radio [Excellent Italian Greyhound, 2007]”

- SONIC YOUTH – “Panty Lies [Washing Machine,1995]”

- BELLINI – “Wake Up Under a Truck [The Precious Prize of Gravity, 2009]”

JOHN FRUSCIANTE – “Dissolve [DC EP, 2004]”

Le morceau commence par des accords simples et secs. La voix rentre pour un couplet, et ces accords sont toujours là. Et ça commence à monter petit à petit, avec une voix plus insistante, et une basse qui s’invite dans les petites virgules qu’offre ce morceau. Arrive le pont avec des accords différents tout en gardant le même style de jeu (accords secs). Ce pont nous emmène vers un moment très intimiste guitare voix, que John Frusciante affectionne. Le morceau se termine gentiment avec une basse très mélodique et une batterie légère. Ce morceau figure sur l’album "DC EP", album qui fait partie d’une série de six albums réalisés entre 2004 et 2005. J’ai été littéralement traversé par cette série. J’ai été conquis par l’univers, les arrangements, les voix, les mélodies. Alors quand j’entends Balbec me parler de mes « basses de lover » et quand j’écoute la basse de fin du morceau « Governed By The Sun », je repense à ces albums.

J’aurais pu citer tous les albums de John Frusciante de cette période : “Shadows Collide with People [2004]”, “The Will to Death [2004]”, “DC EP [2004]”, “Inside of Emptiness [2004]”, “A Sphere In The Heart Of Silence [2004]”, “Curtains [2005]”. Après cette introspection musicale, je comprends mieux pourquoi je joue dans Balbec : parce que j’aime les voyages sonores semés d’embûches.



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