> Interviews



Nous ne sommes plus très loin de ces fameux palmarès de fin d’année... Ce rituel immuable qui rythme nos vies de passionnés de musique sous toutes ses formes. Il est fort à parier que dans la musique de notre hexagone, nous retrouverons en sainte trinité du bon goût, l’obscur triple cd de Pascal Bouaziz et Mendelson, le solaire "Un Courage inutile " d’Orso Jesenska et le poignant " La Percée" de Vérone...

Fabien de Vérone se prête avec plaisir et humour au jeu du Titre par titre et décortique ce bel album dans lequel nous découvrons à chaque nouvelle écoute de beaux détails qui rendent cette musique si humaine et si attachante. Mais laissons place à la voix de Vérone...

La Vallée :

J’ai écrit cette chanson suite à une brève rencontre avec Marcel Kanche autour d’un accord de piano étrange et dissonant. Ce jour-là, j’avais regardé un dessin animé avec mon fils, « Petit Pied et la vallée des dinosaures ». Les deux impressions mélangées m’ont donné l’envie de ce voyage immobile, avec cette conscience de la toute puissance du temps qui nous échappe. C’est le premier morceau enregistré pendant les sessions de l’Île-aux-Moines. Nous avons fait plusieurs dizaines de prises et gardé une des dernières. Sammy Decoster est au tambour indien chamanique, Delphine et moi aux guitares acoustiques. J’utilise la guitare folk Framus des 60’s qu’on retrouve sur la plupart des titres. Sammy a rajouté ensuite le solo central de guitare cagette (une Harmony des 60’s). Les harmonies vocales de Claire Redor ont été enregistrées en direct, elle et moi dans le même micro.

Suspends Tes Chaussures :

C’est une chanson verte, un fantasme de fuite et de recommencement qui correspond à notre envie d’île… Je lorgnais vers la Californie de David Crosby à ce moment-là, il y a aussi un peu de « Gorilles dans la brume » et de « Fitzcarraldo » dans la chanson, plus l’influence d’une piste de skateboard que j’observe souvent… On retrouve les harmonies vocales de Claire tout au long du morceau.

La Percée :

C’est un voyage solitaire dans le Jura qui m’a inspiré la chanson, la percée est un tunnel qui relie deux vallées isolées. Au départ, j’imaginais une ballade acoustique avec quelques touches orchestrales. Et puis on est parti sur quelque chose de plus brut et métronomique. Nous avons trouvé l’arrangement final, avec la transe rythmique de l’ad lib, sur l’Île-aux-Moines. C’est l’un des morceaux de bravoure de Mathieu à la batterie-tom martiale, accompagné de Sammy au tambour chamanique. On entend quasiment les bruits de bottes d’une armée en marche dans le brouillard… Les crissements de guitare ont été joués par Delphine en direct avec un câble de frein de vélo, alors que la scie a été rajoutée par la suite par Sammy. L’originalité de la chanson vient aussi de sa progression musicale et de l’absence de structure standard couplet-refrain.

Fish Pedicure :

C’est lors d’un concert de Facteurs chevaux (le projet que nous menons en duo Sammy Decoster et moi) en Belgique que j’ai aperçu ce salon kitsch qui proposait des soins de fish pédicure. Je me suis immédiatement posé des questions : à quoi ça sert ? Qu’est-ce que ça cache ? Le fond de l’affaire me semblant finalement assez sombre, la chanson est venue dans le mode mineur, sous la forme d’une ballade hispanisante. La Belgique et l’Espagne réunies… Celle-ci a été enregistrée en live, le chant de sirène de Claire dans une pièce séparée. Delphine est à la guitare douze cordes acoustique (une Melody des 60’s), moi à la guitare nylon baryton. Les quelques parties de guitare électrique ont été ajoutées après par Sammy sur une Fender Mustang des années 70.

Mamie :

C’est un des morceaux qu’on écrit replié sur moi-même, dont on se dit qu’il n’intéressera personne mais dont on est quand même fier à l’arrivée. J’ai eu une relation étrange avec ma grand-mère, proche et distante à la fois, d’où quelques occasions manquées et regrets. Elle a fini sa vie dans une maison de retraite. La chanson a été enregistrée dans une salle de bains pour son court écho, et on entend la pluie qui tombait à ce moment-là au début et à la fin de la prise. On a ajouté quelques notes de piano après coup. Sur scène, nous avons trouvé un bel arrangement avec des harmonies à trois voix.

Quand Même :

Celle-ci est un peu à part sur l’album. A la base, c’était une simple blague, issue d’une querelle de voisinage avec une dame qui se plaint de nos répétitions et préfère pour sa part « la grande musique ». Ses courriers de plaintes et autres missives de menaces constituent une bonne partie du texte, on y retrouve cette ambiance de délation bien française qu’on connaît tous. Le morceau, assez rock, a été mis en boîte rapidement. J’ai doublé ma voix dans un ampli guitare, et la Mustang solo finale de Sammy a été ajoutée après. Feu Cinto, le boxer corse de Sammy, a également participé à la chanson ; nous avons enregistré ses aboiements avec soin dans un vieux micro à tube des années 60. Notre chère voisine a malheureusement été victime d’un AVC depuis, qui l’a laissée partiellement diminuée. Elle est aujourd’hui en bonne voie de guérison comme l’attestent les coups sur les radiateurs qu’elle recommence à administrer.

Izenah :

Izenah est le nom breton de l’Île-aux-Moines. C’est là que Claire et moi avons coécrit le texte de cette ballade médiévale sado-maso. Nous écoutions beaucoup de folk traditionnel français à ce moment-là (Malicorne…). Nous nous sommes pas mal amusés à ne dévoiler que progressivement la perversité de la chose. Le titre a été enregistré en très peu de prises et en live, les deux voix dans le même micro. J’ai ensuite ajouté la deuxième guitare acoustique de la fin et Mathieu Denis des harmonies de contrebasse. Nous avons utilisé une réverbération d’église qui conforte l’impression de recueillement de l’ensemble.

Vieille Peau :

J’ai écrit les paroles en observant les curistes autour de moi dans une station thermale très début du siècle. J’écoutais à ce moment-là de vieux 45T français (Christophe…), et la musique (une valse forcément…) a suivi dans l’idée d’un vieux phonographe désuet.

C’est la chanson la plus produite du disque, la seule où nous avons mélangé des samples et de vrais instruments, dont plusieurs accordéons.

J’adore ce que devient cette chanson sur scène, car elle permet de jouer avec l’attention des spectateurs, qui sont tour à tour surpris, attristés et amusés.

Bleu :

Une autre chanson recroquevillée sur elle-même en forme de blues, pour ma maman disparue d’un abus prolongé de médicaments quand j’avais vingt ans. Nos vacances à Barcelonette sont un des souvenirs ensoleillés de mon enfance. Beaucoup de regrets par ailleurs bien sûr…

C’est une des premières chansons écrites pour l’album, au moment où on se demande quelle direction on va prendre. Je m’étais dit qu’on ne la garderait pas car trop personnelle.

C’est enregistré totalement en direct – sauf trois notes de piano à la fin - et c’est une des dernières prises, proche de l’épuisement. J’utilise une guitare de blues, une Gibson LG2 de 1959, et Delphine une Fender Mustang dans un ampli Vibro Champ Blackface.

Fêlée Mon Gars Ta Coque :

Sur l’album, c’est la première chanson à avoir été écrite. Nous passions quelques jours sur le bord de la Saône lorsqu’un après-midi, nous avons reçu la visite de Barbara, une voisine Suisse sans âge qui se sentait menacée par son mari, Tom. Elle était visiblement sur les nerfs et nous a montré sa collection de dessins, principalement des planches anatomiques d’insectes. Vers minuit, c’est Tom qui a surgi à son tour, après avoir longuement donné des coups de masse dans la façade de sa maison voisine, en nous demandant si on avait vu Barbara, qui avait disparu avec son vélo. Ça n’avait pas trop de sens car nous étions assez isolés. Nous avons plaisanté un moment sur le thème « il est en train d’enterrer sa femme », « les dix petits nègres au bord de la Saône » etc… Le lendemain après-midi, Barbara est venue une nouvelle fois se réfugier chez nous, suivie de peu par Tom, armé d’une longue machette et décidé à en découdre. La discussion a été longue à partir de là ; menaces de suicide, intervention des pompiers etc…

Le morceau a été enregistré très simplement dans le jardin. Une piste mono pour la guitare et les deux voix, Delphine Passant et moi, puis quelques légers overdubs sur la fin.

Un grand merci à Fabien Guidollet et à Verone... Pour poursuivre votre découverte de "La Percée", prolongez votre lecture avec ma chronique de l’album.

www.veronemusic.com/‎