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En juin dernier, nous tombions sous le charme de « Horizons Amovibles V1.0.0 ». Sur son premier album, Praha (alias Arnaud Robinet) échappait à toutes les étiquettes : ni pop ni chanson française, ni orchestral ni rock, mais tout cela à la fois. Depuis, nous n’avons jamais vraiment perdu le contact avec Praha. Alors qu’il enchaîne une série de dates, il était temps de faire le point sur les six derniers mois vécus par l’artiste.

ADA : Ton album est maintenant sorti depuis quelques mois. Comment analyses-tu les réactions ?

PRAHA : Il est sorti en juin, c’est vrai ; mais étant passé pratiquement inaperçu, j’ai parfois l’impression qu’il n’est pas sorti du tout ! Cependant, les rares personnes qui ont pris le temps de l’écouter m’en ont dit beaucoup de bien et certains retours ont même été dithyrambiques… Rien que pour cela, il en valait la peine.

ADA : Pour beaucoup d’artistes, la galère est souvent de mise. Quel serait, selon toi, le problème actuel de l’industrie musicale, particulièrement à l’encontre des groupes ou musiciens naviguant dans l’autoproduction ?

PRAHA : Le problème de l’autoproduction est qu’on est face au mur de l’argent. Dans mon cas, j’ai mis tout ce que j’avais dans la production, je pensais avoir fait le plus dur mais ce n’est pas le cas. C’est bien de faire un album mais le faire connaître c’est autre chose. Il faut un budget pour la moindre petite promo, même sur internet. Quand on n’a pas une équipe derrière pour assurer la com’ et tout ce qui suit la production, il ne suffit pas de mettre son album sur bandcamp et d’annoncer la sortie sur facebook… C’est plus compliqué que ça, j’étais bien naïf sur ce point-là...

ADA : Serais-tu d’accords pour dire que les labels et les radios « généralistes » ne prennent aucun risque ? Par exemple, sur « A Découvrir Absolument », nous recevons chaque semaine de nombreuses merveilles françaises (dont ton album) qui, malheureusement, restent confidentielles, limite underground… Comment expliquerais-tu l’enthousiasme de nombreux webzine pour une musique française « différente » et l’absence de réactions, en retour, issue des « professionnels de la profession » (comme disait Godard) ?

PRAHA : Oui on peut penser qu’effectivement, les labels et radios sont assez frileux. Disons que si un artiste ne possède déjà pas un buzz conséquent, il ne les intéresse pas. Encore une fois cela couterait trop cher d’investir dans quelque chose de pas forcément bankable immédiatement. Mais je reste confiant, que ce soit par le biais de cet album, du prochain ou d’un concert, une structure va forcément s’intéresser à ce que je fais.

ADA : Tu as donné quelques concerts depuis la sortie de « Horizons Amovibles ». Comment restitues-tu sur scène la complexité harmonique de ton album ? Peux-tu nous parler des réactions du public ?

PRAHA : A ce stade, je ne peux pas véritablement la restituer... La plupart des concerts se font seul ou en duo, donc je propose quelque chose de différent : des versions acoustiques des chansons. Depuis peu j’ai introduit des bandes sons sur scène, ce qui me permet d’envoyer aussi mes synthés un peu tordus ou des loops afin d’essayer de restituer l’univers. On n’est pas qu’un groupe folk, loin de là ! J’espère que le public qui nous découvrira sous ce format scénique sera surpris d’entendre les versions arrangées de l’album. Le 21 décembre, par contre, aux Cariatides à Paris, on sera en formation "groupe", avec basse et batterie, le format sera donc différent encore.

ADA : Si tu devais nous parler de ton parcours musical : tes premières découvertes, tes premiers émois, ce moment où tu as décidé de te consacrer à la musique ?

PRAHA : Je me souviens avoir été marqué très jeune par un vinyle de mon père : « Cheap Thrills’ » de Janis Joplin. J’étais subjugué par cette voix ; à l’époque j’étais incapable de savoir si c’était un homme ou une femme qui chantait ! Et puis il y avait cette pochette hallucinante de Robert Crumb, j’avais l’impression qu’il y avait tout un monde fascinant derrière tout ça... Ensuite il y avait Les Beatles et les Stones mais c’est Jimi Hendrix qui m’a donné envie de jouer de la guitare et tout est parti de là.

ADA : Tu sembles très marquer par la chanson française. Comment se déroule, pour toi, le processus d’écriture des paroles ? Est-ce un travail d’acharnement ou bien fonctionnes-tu à une certaine spontanéité ? De même, les mots s’adaptent-ils à certaines constructions musicales ou bien, chez toi, peuvent-ils t’indiquer des idées musicales ?

PRAHA : Cela dépend des chansons. J’ai des carnets remplis de notes ou de débuts de textes dans lesquelles je pioche quand me vient une idée de mélodie, en général à la guitare. A partir de là, j’essaie de structurer les paroles, ce qui peut prendre effectivement une heure ou parfois plusieurs semaines. Pour d’autres chansons, c’est le schéma inverse : la musique vient en premier et c’est la mélodie qui dicte l’écriture des paroles. Il n’y a pas de recette miracle, mais écrire une chanson est une expérience quasi mystique. Certains jours je me réveille après avoir travaillé sur une chanson (en général je fais ça la nuit) en me demandant d’où à bien pu venir l’idée de base !

ADA : Serais-tu d’accords pour dire que tes mots dévoilent la personnalité d’un romantique légèrement blessé ? Car, je trouve, une mélancolie se ressent dans ton travail…

PRAHA : Une mélancolie, oui sans doute, mais je me soigne ! Certaines chansons de l’album ont été écrites à une période de ma vie où tout n’était pas franchement rose ; donc, forcément, l’écriture s’en ressentait...Mais les chansons plus récentes sont heureusement beaucoup moins empreintes de mélancolie, j’essaie de me détacher de ça.

ADA : Chez toi, l’orchestration est particulièrement riche, voire complexe. Comment as-tu travaillé avec tes comparses Claude Salmiéri, Michel Deshays, Léa Juchet et Fred Chamouret ?

PRAHA : Pour « Horizons Amovibles », j’ai eu la chance de rencontrer Claude Salmiéri et Michel Deshays qui sont de grands pros. Auparavant, je bricolais en home-studio ou faisais mes prises à droite à gauche. Bref, je bidouillais. Avec Claude et Michel, ce fut soudain le grand luxe ; je leur soumettais mes démos bricolées et ils en ont fait ce qu’on peut entendre sur l’album. Parfois ils sont restés très proches de ce que je voulais faire avec mes démos, comme sur « Te souviens-tu » ; mais d’autres chansons ont subi un lifting complet comme « Délicieux Sortilège », à la base une chanson assez rock qui est devenue une sorte de bossa 60s déjantée... Avec Léa et Fred, on travaille différemment : Léa est mon épouse, j’écris les parties violon, elle les joue divinement. Fred est mon comparse de toujours, il fait les solos sur la plupart des chansons ou les parties de guitare slide. C’est aussi lui qui fait le "quality control", il valide les chansons ; s’il me dit que ma chanson est pourrie, je laisse tomber.

ADA : Quand as-tu écris et enregistré « Horizons Amovibles » ? Cet album fut-il difficile à sortir (d’un point de vue financier, logistique, etc.) ?

PRAHA : Certaines chansons sont assez anciennes, comme « La garde-robe » qui est une des premières que j’ai écrites il y a une dizaine d’années ; alors que « Je n’ai pas vu le temps » ou « Lady Jane » ont été écrites récemment. L’enregistrement de la musique s’est fait très vite, grâce à l’expertise de Claude Salmiéri et Michel Deshays. Les prises de voix étaient plus ardues car je n’étais jamais satisfait du résultat (la prochaine fois je ferai les choses différemment, d’ailleurs)...Financièrement, aie oui c’était difficile : j’y ai mis ma chemise et le reste mais le jeu en vaut la chandelle !

ADA : Tu ne fais pas de la chanson française, ni du rock, encore moins de la pop, pas même de l’expérimental. J’ai la sensation que tu brouilles les pistes. D’où, dans mon propre cas d’auditeur, une première écoute de « Horizons Amovibles » assez déstabilisante (qu’est-ce donc ?) ; puis, fortement intrigué, de nombreuses autres écoutes avant de pleinement me laisser aller et d’admirer ton travail… J’ai la sensation que ton album, une fois n’est pas coutume, ne peut pas se juger en une simple écoute blasée. Il faut y entrer, il faut faire un effort, il ne faut pas se contenter d’une oreille distraite…

PRAHA : Je n’essaie pas de brouiller les pistes, je ne me réveille pas en me disant « aujourd’hui je vais écrire un morceau pop ou cette chanson sera une valse, celle-là du trash métal » (bon, ok, peut-être pas du trash metal). J’écoute des choses diverses dans lesquelles je puise allègrement, en fonction de cela telle chanson prendra telle ou telle direction.

Alors c’est vrai que cela peut paraitre assez déstabilisant car j’ai l’impression qu’on n’arrive pas à mettre ma musique dans telle ou telle case, mais c’est sans doute une bonne chose au final... Certaines chansons sont de la chanson française dite "traditionnelle" mais je vais rajouter un synthé psychédélique ou un arrangement décalé pour justement me détacher de ce cadre. Pourquoi ? Tout simplement parce que ça me plait !

A partir de là, je n’ai pas vraiment l’impression de faire quelque chose de compliquer ou de pas immédiatement accessible mais il est vrai qu’il faut peut-être écouter l’album plusieurs fois pour bien intégrer les mélodies et saisir les double-sens de certains mots. C’est à double tranchant : dans ton cas, tu as pris le temps de bien écouter l’album (et c’est tout à ton honneur) mais j’ai l’impression que, de nos jours, les choses doivent aller vite, qu’on doit aller à l’essentiel et se faire une idée rapidement. Dans ce contexte, je me demande certains jours où l’album va trouver sa place.

V

ADA : Tu as de nouvelles compositions en poche. La suite ?

PRAHA : J’ai environ une vingtaine de chansons prêtes à être enregistrées mais pas les moyens financiers, à ce stade, de le faire. Mais le second album sortira en 2014, d’une façon ou d’une autre !

ADA : Toujours optimiste ?

PRAHA : Plus que jamais ! Même si je ne parviens pas à faire la promo de l’album moi-même, je suis sûr que les gens pourront découvrir la musique autrement, que ce soit par le biais de concerts ou de rencontres que je vais bientôt faire.

ADA : En ce moment, parmi les artistes ou groupes récents, tu aimes quoi ?

PRAHA : Je viens tout juste d’écouter Joseph Leon : « The Bare Awakening », un peu d’Americana de ce côté de l’Atlantique, ça fait du bien...Récemment, j’ai beaucoup aimé le dernier Queens Of The Stone Age. Je suis un grand fan de Josh Homme et du stoner rock en général. Sinon j’ai joué il y a peu en première partie de Madeleine Besson qui fait du blues/rock/soul à l’ancienne. Quelle claque ! À voir absolument en concert !

ADA : Si tu devais résumer ton amour pour la musique en cinq albums ou cinq artistes, que dirais-tu ?

PRAHA : Cinq albums seulement, ça va être très difficile mais je dirais :

- « Abbey Road » des Beatles (ou n’importe quel album des Beatles)

- « Les Marquises » de Jacques Brel

- « Hunky Dory » de David Bowie

- « Everybody Knows This Is Nowhere » de Neil Young

- « Berlin » de Lou Reed (ou n’importe quel album du Velvet Underground)

Allez, j’en mets un sixième : « Saucerful Of Secrets » de Pink Floyd



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