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Jo Dahan est un touche à tout. Non content d’avoir participé à deux groupes majeurs des dernières décennies - à savoir les Wampas et la Mano Negra - d’avoir bossé sur les deux albums de Gaëtan Roussel et d’avoir été nominé aux Césars pour la composition de la BO de Camille Redouble, de Noémie Lovsky, il a aussi pris part à plusieurs reprises à l’aventure Groland. Il débarque aujourd’hui en solo chez Because Musique, avec un premier album intitulé Ma Langue Aux Anglais. Un titre ironique, tant la manière dont il manie la langue de Molière fait oublier ce vieux stéréotype qui voudrait que rock et textes en français ne fassent pas bon ménage à l’exception de Téléphone ou Noir Désir (qui, rappelons-le, sont deux formations mortes et enterrées).

D’ailleurs, c’est avec tout autant d’ironie que le premier titre, C’était mieux avant, introduit l’album. Egrainant tout un tas de sujets plus ou moins d’actualité, Jo Dahan les gratifie dans la foulée d’un "c’était mieux avant" qui claque un peu comme une insulte. Pendant les premières secondes, on est alors un peu perturbé, car on ne sait pas sur quel pied danser : est-ce là la pensée réelle de l’artiste, lorsqu’il dit que le jazz, les voitures, les jeunes, les disques et les clips étaient porteurs de plus de qualité dans le passé ? Car si tel est le cas, on se retrouve avec, dans les oreilles, un vieux con passéiste qui dégueule sa haine du monde qui l’entoure, et on se dit que l’album va être difficile à supporter. Mais, là où intervient tout l’humour et la légèreté de Jo Dahan, c’est lorsqu’il lâche que "les animaux c’était mieux avant", suivi de très près par la scoliose, mon cul et les Pépitos. On commence alors à comprendre que tout n’a pas forcément valeur de vérité dans ces paroles, et qu’il s’agit simplement d’envoyer se faire foutre tout ceux qui pensent bêtement que tout était mieux avant. Puis vient le moment où Les Wampas, aussi, c’était mieux avant. On pige alors instantanément que Jo Dahan règle ses comptes avec cynisme ; et le reste de l’album prend une toute autre dimension.

Ainsi, le second morceau, Silence Please, joue sur le même tableau : un rythme effréné, entrecoupé de blancs, qui explique en quoi, dans notre société vacarmiste, le silence est une denrée rare. Là encore, fond et forme s’accordent parfaitement pour dénoncer gentiment les travers des contemporains de l’artiste, sans jugement moraliste. Puis, Musiques d’aéroports, qui tire à boulets rouges sur la diffusion massive de musique dans les lieux publics, laisse s’exprimer la facilité avec laquelle l’ancien bassiste de la Mano Negra manie les mots du quotidien. En effet, comme dans le premier morceau, le concept est de répéter des scènes similaires en les tâclant toutes un peu au passage. Mais la tournure des phrases et la justesse des mots employés, qui appartiennent pourtant à un registre relativement simple, font que la répétition n’est jamais lourde mais devient un véritable effet de style. On trouve même quelques ressemblances avec Oui Oui, le groupe complètement barré de Michel Gondry. Même humour, même ton décalé et un brin enfantin : on est là en présence d’une finesse très rare.

Vient alors Le chant des sirènes. Si jusque là, on avait enchaîné trois morceaux assez rapides, cette quatrième piste prend des allures plus lyriques. Un rythme de blues à la Since I’ve Been Loving You de Led Zep, des petits claviers rétro 70, et un refrain plus lent, agrémenté de choeurs... on se surprend à planer et on aimerait que ça dure encore une ou deux minutes supplémentaires. C’est d’ailleurs l’un des seuls reproches trouvables de cet album : la durée de ses morceaux (2’20’’ en moyenne). Mais cet écueil est rattrapé par l’atmosphère gaucho foutraque qui se dégage de toutes les chansons. Que ce soit dans Enfant d’Salauds, où Jo raconte l’escroquerie et l’abus de faiblesse qu’à subie sa grand-mère, ou dans Minorités, qui n’est pas sans rappeler l’énergie du sus-cité Noir Désir ou la gouaille de Renaud, on sent la révolte et l’indignation. Jo Dahan continue de régler ses comptes et crache dans son micro comme il foutrait des coups de poings dans les murs.

En fait, Jo est sans doute un éternel adolescent, resté bloqué quelque part entre son imagerie naïve et enfantine (J’donne ma langue aux anglais) et celle qu’il s’est forgé dans le milieu musical, et particulièrement punk. Ainsi, le morceau Tout l’monde, véritable hymne à l’amour version garage, exprime à merveille, textuellement et formellement, cette dualité entre une volonté de simplicité et une envie de foutre le feu dans un joyeux bordel.

Finalement, tout l’album de Jo Dahan doit se voir comme ça : un jeu d’ombre et de lumière constant. Et on parle bien de jeu, pas de combat ; car chaque facette est aussi importante que l’autre. Sans l’énergie omniprésente, cette sortie tomberait à plat ventre dans la guimauverie teenager la plus basse. Et sans naïveté, il serait difficile de supporter un format aussi condensé sans saigner des oreilles.

Il faut d’ailleurs attendre la fermeture de l’album, avec Rue de Belleville, pour prendre pleinement conscience de ce qu’on vient de prendre dans la gueule. Ce morceau fait office d’ovni dans l’album, car il apparaît comme un clap de fin qui mélangerait nostalgie et plénitude. Ce moment, un peu comme à la fin d’une semaine de vacances au soleil entre potes, où il faut fermer la maison et reprendre la route vers un quotidien insipide. On repense à tout ce qui s’est passé : coups de gueule, bitures, filouteries et discussions politiques échauffées. On en veut encore mais il faut rentrer. Sauf que l’avantage avec Ma langue aux anglais, c’est qu’on peut activer la fonction repeat à volonté.




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