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Martin Gore est tout de même incroyable. Songwriter génie, doté d’une voix d’éternel enfant triste (« A Question of Lust » ou « Home », ce n’est pas rien), le prodige de Basildon, lorsqu’il furète hors DM, refuse de livrer l’album solo que beaucoup attendent de lui. Sans doute car, de « A Broken Frame » jusqu’au récent « Delta Machine », l’œuvre intégrale de Depeche Mode (sans VC) peut facilement se lire comme l’idéal reflet des pensées comme des ambitions musicales de Martin (ce qui n’enlève absolument rien à l’importance aussi bien psychologique que vocale de Dave Gahan – cette star parfaite derrière laquelle se protège le frêle et dépressif compositeur en chef).

Depeche Mode, c’est le journal intime de Gore (jusqu’à la faculté de s’accaparer – façon thérapeutique – les titres que compose maintenant Gahan depuis « Playing the Angel »). À quoi bon demander à Martin un disque solo puisque, depuis tout temps, DM ne cesse de labourer les obsessions religieuses, amoureuses et sexuelles de son auteur ? (Dans un vocabulaire et un sens lexical poussant plus loin encore les travaux de Leonard Cohen et de Nick Cave – « Personal Jesus », chanson définitive sur l’idée de transcendance.)

Aussi, lorsque Martin publie des albums sous son propre nom, l’idée principale ne tient qu’en un seul mot : plaisir. Les magnifiques « Counterfeit » permettaient à MG, avec beaucoup d’humilité, de saluer certains de ses héros (au talent parfois inférieur à celui-ci). Les retrouvailles entre Gore et Vince Clarke, pour l’assez mal aimé VCMG, voyaient nos deux lurons s’éclater à composer de la techno aussi ludique que génialement vintage (les années jouant en faveur de ce disque purement récréatif et amusé). Rien de surprenant à retrouver aujourd’hui Martin au cœur d’un album essentiellement instrumental…

Semble-t-il enregistré à la cool, avec joie et bonne humeur, « MG » se compose de seize architectures dans la lignée du séminal « Another Green World » de Brian Eno. Parfois légèrement tribal, toujours détendu, bande-son parfaite afin d’enrober l’espace, cet album laisse perplexe à la première écoute (« Quoi ?! Martin ne révolutionne pas le genre de la fausse BOF ?! ») avant d’agripper, de fasciner puis de ne plus lâcher au cours des nombreuses immersions que l’auditeur conquis lui accorde. Des bribes DM se manifestent parfois (un « Featherlight » à la généalogie « Construction Time Again », un « Creeper » façon instru non retenu pour « Violator », un « Stealth » limite synonyme de « Rush »), mais l’idée n’est pas de déployer des orfèvreries mélodiques…

Le plus beau, dans le travail « solo » de Martin Gore (et c’est à nouveau le cas ici), se niche dans le « je-m’en-foutisme » du blondinet au vernis noir. Car si DM cherche néanmoins, et à raison, le besoin de curiosité (enregistrer sur des appareils vintage, écrire un disque de blues avec des machines, lier la sophistication à un son crade et méchant), Gore se contrefout des attentes comme de son statut de « précurseur » ou de « référence incontournable ». Ce disque n’a pas été conçu pour casser la baraque, et encore moins dans l’idée d’apporter une pierre décisive à la musique électronique (du reste, un mec ayant écrit des choses aussi importantes que « Black Celebration », « Violator » ou « Ultra » - pour résumer - peut dorénavant tout se permettre sans musarder sur le « qu’en dira-t-on ? »). Ce disque est frais, ô combien sincère, joueur et volontairement anomalie. Il révèle (mais nous le savions déjà) un éternel jeune homme qui, sans la moindre pression car doté d’une naturelle modestie, trifouille dans son Home Studio des compositions qui, au cours d’un moment précis de sa vie, lui correspondent… Oui, depuis trois ou quatre ans, Martin Gore respire l’épanouissement (le divorce a du bon).




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