À trop se farder des groupes français qui se regardent poliment jouer ou qui récitent les leçons d’antan, on en revient naturellement vers les outsiders magnifiques, les branleurs princiers, les punks de l’ère 2.O. Car finalement, depuis trois ou quatre ans, dans le registre rock, quels musiciens français nous ont touchés (intimement), secoués (par leur radicalité), émus (par leur sincérité) ? Noir Boy George, As A New Revolt, 30’ NRV, Ventre de Biche, SIDA, voire Jessica93... Et Churros Batiment.
Logique à retrouver ici David Litavicki, guitariste de (justement) As A New Revolt. Logique à voir le duo grenoblois (Pierre Gheno au chant et à la basse) partager les scènes avec Monsieur Crâne ou Saló. Tous ces groupes, bien que singuliers, partagent au moins une chose commune : une haute maîtrise musicale qui refuse le propret, les politesses aguicheuses. Car inversement à beaucoup, Churros Batiment pourrait facilement enregistrer un disque cold wave bien sous tous rapports. Mais à quoi bon ? Non seulement l’acte manquerait de tripes et de dégueulis, mais l’auditeur s’ennuierait bien vite.
Voilà aussi pourquoi Couteau est un sacré bon disque : le bordélique n’y est qu’apparent, il humanise et personnifie ce post-punk / front wave qui n’en fait qu’à sa tête. Churros Batiment a déjà oublié les leçons que beaucoup en France peinent encore à copier.
Et puis il y a ce nihilisme rigolard. Le plus beau d’entre tous : avoir conscience de cette « pute de life » (selon l’expression du groupe) mais rire de sa propre lucidité. Pas question de virer au nombrilisme, pas question de chercher à se faire plaindre. Au contraire : même si les mots claquent, même si les formules agrippent, David et Pierre détiennent une perception trop aigue de l’existence pour chercher le ton solennel. Une absence de sérieux n’ayant pourtant rien à voir avec le cynisme : Churros Batiment ironise sa lucidité, comme une arme, une protection, avec cette idée que mieux vaut en rire que de se laisser couler par le désarroi.
Tant que des formations telles que Churros Batiment existeront, on continuera à écouter du rock en langue française.