> Critiques > Labellisés



C’est super étrange, je viens tout juste de livrer ma chronique du premier album de Coline Rio, qui s’appelle Ce qu’il restera de nous, et là je vois que nouvel opus de Nicolas Poncet alias Gontard commence par Ce qui restera de nous, alors – au-delà de la question syntaxique qui se pose et à laquelle j’ai la flemme de répondre – en bon paranoïaque traducteur du réel fuyant que je suis, je me demande s’il n’est pas temps pour moi de rédiger mon testament : à mon enterrement, couvrez ma tombe de fleurs en plastique, rappelez-vous à quel point j’étais tristement drôle, mettez du Michel Sardou à fond et dansez sur Les lacs du Connerama.

Cet après-midi, tandis que je fumais une énième cigarette au pied de l’immeuble administratif qui me sert d’asile psychiatrique (je ne suis pas à plaindre, je bosse à deux pas de Montorgueil), j’observais une fourgonnette et son conducteur peiner à se garer. Sur le côté de la fourgonnette, un logo : Dépann2000. Et moi, étonné que des entreprises continuent d’adosser à leurs visuels un 2000 depuis longtemps passé et largement dépassé, aux promesses fanées

Je suis mentalement retourné en enfance, à l’époque où les années 2000 étaient encore le futur et présageaient un avenir radieux. Avant, longtemps avant maintenant, 2000 était synonyme de modernité et de progrès et de facilités technologiques inouïes. Le monde allait changer et serait bien meilleur. Dans le passé, le principe du futur, c’était que le futur serait chouette.

Les yeux dessalés, on en est revenus. Désormais, on a la certitude que le futur sera pourri. Dommage, et certainement la conséquence d’un matraquage permanent diligenté par des élites qui se foutent de tout, à l’image de nos gouvernants, dont la place est depuis longtemps réservée dans le bunker de l’apocalypse finale. Au lieu de chercher des vraies solutions à l’unique vrai problème du monde (la répartition des richesses), les nantis nous préparent à des lendemains dégueulasses, et nous, on se résigne. On se dit que c’est pas de chance, que c’est fatal, qu’on a été vilains, on se stérilise, on bouffe des insectes, on arrête de voter parce que ça ne sert plus à rien, on manifeste dans le vide, on existe pour pas grand-chose et pour personne ; nous sommes devenus la variable d’ajustement des psychopathes qui nous lobotomisent et, en plus, on leur donne raison, tant notre énergie vitale faiblit, décennies après décennies, au profit de désirs débiles et d’accomplissements finis à la pisse.

Les jeunes générations occidentales, au lieu de s’étriper sur le diktat de l’épilation ou la représentation des minorités dans les merdes produites à la chaîne par Disney, feraient mieux de lire Bakounine, Malatesta et Kropotkine. Moi j’ai toujours en tête le criterium de la vérité, tel qu’énoncé par Sully Prudhomme : suis-je prêt à mourir pour mes convictions ? La réponse est non, alors on s’arme mollement, et surtout de mots qui ne servent à rien en dehors des bagarres verbales, dans la perspective de lendemains qui déchantent.

Voilà ce que m’inspire 2032, le titre du sixième album de Gontard : le futur n’est pas si loin mais suffisamment lointain pour nourrir nos phantasmes et nous délivrer de l’obligation d’agir, maintenant, tout de suite, et avec vigueur.

Alors on se place dans le futur, en 2032, pour ausculter un présent en cours d’évaporation, à coups de chanté-parlé, de citations barrées, de samples, de boucles lo-fi et d’arrangements cheap. Il est probable que plus tard, les historiens sauront mettre le doigt sur les raisons pour lesquelles le monde s’est barré en couilles. Ils pourront s’appuyer sur le témoignage de Gontard, sa voix si douce formulant des constats amers jamais cyniques (l’homme a trop de cœur pour sombrer dans la facilité), son sens de la mélodie (Juste quelques flocons qui tombent, un peu à la Miossec, mais en mieux), son intellectualisme à hauteur d’homme (pas de parisianisme à chemise blanche et Stan Smith, ça fait du bien) et les textes à la fois universels et intimistes, car après tout, au-delà de la mise en scène d’un esprit et d’un corps bouillonnants, il y a une foute tendresse qui irrigue les douze chansons de 2032, à l’instar d’une compo toute cool comme Seul le croque mort a pleuré.

Dans une interview donnée à VF POP cette année, Gontard expliquait que « tu as les artistes de ligue 1, les artistes de ligue 2, et moi je suis au fond de la ligue 2 ». Certes, mais le niveau de jeu de son équipe enthousiasmera suffisamment son audience pour le rendre populaire auprès de chacun de ses spectateurs, et après tout, les révolutions ne naissent-elles pas au fond des arrières-salles ?