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Il y a des étés pluvieux plus fructueux que d’autres, et celui qui sévit en 1816 au-dessus du lac Léman favorisa très certainement les soirées bavardes d’un groupe de jeunes romantiques aux destinées particulières, dont aujourd’hui encore l’œuvre infuse la culture populaire.

Il suffit d’imaginer en la Villa Diodati, la nuit au coin du feu, se lire à haute voix des histoires de fantômes, tirées du recueil allemand Fantasmagoriana, le poète Percy Bysshe Shelley, sa compagne Mary Godwin – ils se marieront en décembre de la même année –, le scandaleux George Byron et Claire Clairmont, ainsi que le médecin John Polidori.

Quitte à frémir, autant en devenir l’instigateur : Byron propose à ses comparses de rédiger à leur tour un conte horrifique, et si lui-même n’écrira que quelques paresseuses pages, Polidori – dont la thèse de médecine portait sur le somnambulisme – évoquera, au travers du personnage de Lord Ruthven, le vampirisme, quand la future Mary Shelley se lancera dans un roman épistolaire – publié anonymement en 1818 – dont la postérité serait sans égale : ainsi est né Frankenstein, durant un été sans été qui frappa une bonne partie du monde et dont la cause pourrait être l’éruption, l’année précédente, du volcan indonésien Tambora.

Un peu plus tard, Percy Shelley, embarqué sur l’Ariel avec deux amis, se noiera au large de Livourne (dans sa poche, un volume d’Eschyle et un recueil de John Keats), et Byron décédera des suites de la fièvres des marais, contractée tandis qu’il se préparait à attaquer Lépante, tenue par les Turcs. Époque lointaine où l’intellectuel ne faisait qu’un avec son corps et l’énergie vitale dévorante qui parfois prématurément le menait dans la tombe.

Dans le titre de son neuvième album, The National évoque les deux premières pages de Frankenstein : pourquoi ? Et pourquoi les deux premières pages ? Elles ont quoi de si spécial ? En musique, les clins d’œil littéraires sont casse-gueules, parce soit prétentieux, soit garants de l’absence de l’objet qu’ils citent – cache-misère, comme on le verra plus tard.

Même si ma bibliothèque est bien achalandée – et comme on parle d’un roman fantastique écrit par une femme au début du 19ème siècle, j’en profite pour faire coucou à Jane Austen (dont le Northanger Abbey est alourdi par la parodie d’un genre qu’il moque) et Ann Radcliffe (Mysteries of Udolpho, lu principalement dans mon bain, est un régal de littérature gothique décousue) – je suis bien en peine de répondre aux questions que je me pose, puisque de Mary Shelley je ne possède aucun ouvrage, qu’il est tard, que je sirote du vin rouge et qu’il est hors-de-question de me mettre en quête d’un exemplaire du Prométhée moderne.

A ce stade d’une chronique décousue que j’assume avec grand plaisir (c’est mon style), et puisqu’il est question d’antiquité grecque, il y a effectivement quelque chose de mythologique dans la présence de Sufjan Stevens sur Once Upon a Poolside (référence à David Hockney ?), le morceau inaugural de First Two Pages of Frankenstein, tant le Désertois fut ambitieux au début de sa carrière, souhaitant publier un album pour chaque état américain, projet pharaonesque assez vite oublié au profit d’une discographie à hauteur d’homme, promouvant au passage les peintures à l’os de Royal Robertson. L’ambition de Sufjan Stevens, peut-être ludique à la base, l’aura dévoré tout cru, en témoigne la tournée The Age of ADZ, trop grande pour le bonhomme, pour le coup plus proche d’Icare que du Titan grec.

En creux, c’est la carrière de The National qui se dessine, d’honnête combo américain capable de fulgurances (Karen, sur Alligator, troisième album paru en 2005) et de parti-pris aventureux (la mise en avant des batteries sur Boxer – fabuleux Fake Empire, mais la moitié des chansons est au mieux anecdotique), aux limites prégnantes en live (je me souviens d’une cacophonie vocale à Cergy dans les 2000s) et à la thésaurisation rapide par le biais de séries télévisées de médiocre qualité. Certes, le quintet sait écrire et dresser dans la mélancolie le triste portrait d’une époque atone, mais il lui a toujours manqué ce je-ne-sais-quoi d’immanquable qui fait la marque des artistes qui nous donnent faim.

Alors oui, le puriste s’interrogera sur la présence de Taylor Swift sur The Alcott : depuis dix ans, dans le monde, personne ne vend autant de disques qu’elle, à tort ou à raison, j’en sais rien. J’ai pris la peine de visionner un live à Houston et j’ai décroché assez vite, même si j’ai apprécié qu’à l’encontre de Madonna, Beyoncé et autres Miley Cyrus, elle ne s’auto-sexualise pas outre-mesure : c’est reposant (et donc la preuve qu’on peut avoir du succès sans porter des strings sur scène) (cela étant, le fameux « mon corps mon choix » étant une arme parmi d’autres contre le patriarcat, le port du string sur scène n’aurait rien à voir avec de la putasserie mercantile mais serait un geste grandement libérateur) (à condition que le mâle ne s’en émoustille en rien, surtout s’il est gros, moche et pauvre), mais pas de talent probant ni de vraie chanson, ça fait certes le taf, un peu comme la Budweiser, sauf que l’ivresse est de faible qualité, même à en boire des litres.

Dans un écrin luxueux truffé de références romantiques et de featuring high level (outre Sufjan Stevens – que l’on entend à peine – et Taylor Swift, on note sur deux titres la présence de Phoebe Bridgers), Matt Berninger et ses ouailles délivrent une collection de belles et ennuyeuses ballades, sous l’égide paradoxale – tant The National aujourd’hui semble privilégier le confort inaltérable d’un statut mixte plutôt rare, entre underground et mainstream – de cette phrase tirée des deux premières pages de Frankenstein : «  My life might have been passed in ease and luxury ; but I preferred glory to every enticement that wealth placed in my path. ». En ce sens, malheureusement, l’évocation des First Two Pages of Frankenstein s’avère contre-productive, puisqu’elle met en exergue ce qui justement manque au quintet de Cincinnati : la flamboyance.




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